Du sang sur Rome
toi.
Roscius se tassa dans son siège. Côté muscles, il aurait
donné du fil à retordre à deux d’entre nous, tout affaibli qu’il était. Mais à
la bataille des mots, j’avais l’avantage.
— Que veux-tu savoir ?
— Où sont tes esclaves ?
— A Ameria, au domaine.
— Tous ? Tu n’as amené personne pour nettoyer,
faire la cuisine, s’occuper des filles ? Je ne comprends pas.
Tiron se pencha vers Cicéron et lui chuchota quelque chose.
Cicéron hocha la tête ; Tiron sortit.
— Quel petit esclave bien élevé tu as là, Cicéron !
Il demande à son maître la permission de pisser ! Ça ne pue pas autant d’habitude.
C’est cette fichue chaleur.
— Nous parlions de tes esclaves, Sextus Roscius. Il y en a
deux en particulier qui m’intéressent. Les préférés de ton père, ceux qui
l’accompagnaient la nuit de sa mort. Félix et Chrestus. Sont-ils restés à
Amena ?
— Comment veux-tu que je sache ? Ils ont dû se
sauver à l’heure qu’il est. Ou se faire trancher la gorge.
— Et qui ferait une chose pareille ?
— Les mêmes qui ont tué mon père, pardi.
— Mais pourquoi ?
— Parce qu’ils ont tout vu, quelle question !
— Comment le sais-tu ?
— Parce qu’ils me l’ont dit.
— Ce sont eux qui t’ont appris la mort de ton père ?
Roscius leva les yeux au ciel.
— Oui. Ils m’ont envoyé un messager de Rome.
— Tu te trouvais à Ameria la nuit de sa mort ?
— Absolument. Vingt personnes te le confirmeront.
— Et quand as-tu appris la nouvelle ?
Roscius réfléchit.
— Le messager est arrivé le surlendemain matin.
— Alors qu’as-tu fait ?
— Je suis parti pour Rome le jour même. Une sacrée
trotte. On peut y être en huit heures avec un bon cheval. Parti à l’aube,
arrivé au coucher du soleil – les journées sont courtes en automne.
Les esclaves m’ont montré son corps. Les blessures…
Sa voix se brisa.
— T’ont-ils montré dans quelle rue cela s’était passé ?
Sextus gardait les yeux au sol.
— Oui.
— L’endroit exact ?
Il frissonna.
— Oui.
— Il faudra que j’aille voir par moi-même.
— Ne compte pas sur moi pour t’accompagner.
— Je comprends. Les deux esclaves peuvent m’y emmener.
J’observai son visage. Une lueur brilla dans ses yeux et j’eus
un soupçon, sans savoir de quoi.
— Ah, j’oubliais. Sont-ils à Amena ?
— Je viens de te le dire.
Roscius paraissait trembler, malgré la chaleur.
— Je dois y aller dès que possible. J’ai cru comprendre
que ton père se rendait dans un établissement nommé la Maison aux Cygnes. Le
meurtre a dû avoir lieu à proximité.
— Je n’en ai jamais entendu parler.
Était-il en train de mentir ? J’avais beau l’examiner,
mon intuition ne me disait rien.
— Pourrais-tu quand même m’aider à localiser l’endroit ?
Non seulement il le pouvait, mais il le fit, à ma surprise étant
donné son manque de familiarité avec Rome. Il y a des milliers de rues dans
cette ville, dont seules quelques-unes portent un nom. Entre Cicéron et moi,
avec les repères dont se souvenait Roscius, nous pûmes reconstituer le trajet.
Cicéron grommela quelque chose sur l’absence de Tiron. Heureusement, celui-ci
avait laissé son stylet et une tablette de cire. Rufus accepta de nous servir
de secrétaire.
— A présent dis-moi, Sextus Roscius : sais-tu qui
a tué ton père ?
Il baissa les yeux et garda le silence très longtemps. Il
avait l’air sonné par la chaleur.
— Non.
— Pourtant, tu as dit à Cicéron que tu craignais de
subir le même sort, que ces hommes sont déterminés à t’abattre, que le procès
lui-même est une machination.
Roscius secoua la tête. Ses yeux s’assombrirent.
— Non, non, gémit-il. Je n’ai rien dit de tel.
Cicéron me jeta un regard étonné. Roscius enfla la voix.
— Laissez tomber, tous autant que vous êtes !
Laissez tomber ! Je suis un homme condamné. On me jettera dans le Tibre,
cousu dans un sac. Tout ça pour quoi ? Pour rien ! Que deviendront
mes petites filles, mes jolies petites filles, mes filles chéries ?
Il se mit à pleurer.
Rufus alla poser la main sur son épaule. L’homme se dégagea
violemment. Je me levai et m’inclinai pour saluer.
— Nous partons, je crois que ça suffit pour aujourd’hui.
Cicéron se leva à contrecœur.
— Mais nous venons à peine de commencer. Demande-lui si…
Je posai un doigt sur mes
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