Du sang sur Rome
qu’il a une tête d’assassin ?
— C’est sûr qu’il était très aigri contre son père. Non
pas qu’il se répande en long et en large ; il était pas du genre à se
plaindre, même après quelques coupes. Juste un mot de temps en temps, une
allusion. Les gens s’en rendent même pas compte. Mais moi, j’écoute. J’entends.
— Tu crois donc que c’est lui ?
— Pas du tout ! Je sais que ce n’est pas lui.
— Comment ça ?
— On a beaucoup jasé quand c’est arrivé. Et tout le
monde te dira que Sextus n’avait pas quitté sa ferme depuis des jours et des
jours.
— Mais personne ne l’accuse d’avoir frappé lui-même. On
dit qu’il a engagé des tueurs.
L’homme n’eut rien à répondre à cela. Visiblement, il n’était
pas impressionné. Il fronça les sourcils, cherchant dans sa mémoire.
— C’est bizarre que tu me parles de ce meurtre. J’étais
pratiquement le premier au courant.
— A Narnia, tu veux dire ?
— Le premier tout court. C’était par une nuit de
septembre. Oui ; il faisait froid, avec des rafales de vent et de la
grisaille. Si j’étais superstitieux, je te dirais que j’ai fait un mauvais
rêve, cette nuit-là, ou qu’un fantôme m’a réveillé…
— Impie ! éructa le vieux. Aucun respect pour les
dieux !
L’homme n’entendait plus, scrutant les profondeurs du mur en
face de lui.
— En tout cas, je me suis levé beaucoup plus tôt que d’habitude.
— C’est un flemmard, marmonna le vieil homme.
— Un tavernier n’a pas vraiment de raison de se lever
tôt. Les clients n’arrivent qu’en fin de matinée. Cette fois, j’étais debout
bien avant l’aube. J’avais du mal à digérer.
— Du mal à digérer ! On aura tout vu !
— Je me suis habillé. J’ai laissé ma femme dormir et je
suis descendu. Je suis sorti dans la rue ; il faisait frisquet. Le ciel s’était
éclairci pendant la nuit ; il n’y avait qu’un nuage à l’est, tout illuminé
d’orange et de rouge par-dessous. Quelqu’un arrivait sur la route. Je l’ai
entendu, d’abord. Tu sais comme les sons portent, quand l’air est pur. Puis je
l’ai vu. Sur un attelage à deux chevaux, qui fonçait si vite que j’ai failli me
barricader à l’intérieur. Mais je suis resté sur le pas de la porte ; il a
ralenti et s’est arrêté à ma hauteur. C’est quand il a retiré sa calotte de
cuir que j’ai reconnu Mallius Glaucia.
— Un ami ?
— Pas de moi, en tout cas. Un ancien esclave, connu
pour son arrogance. A ce qu’on dit, les maîtres déteignent sur leurs esclaves.
Ça c’est la vérité pour Mallius Glaucia.
« Tu as deux branches de la famille Roscius à Ameria,
continua-t-il. Sextus Roscius père et fils, qui ont conquis le respect pour
avoir construit leurs fermes et consolidé leur fortune, et les deux cousins,
Magnus et Capito, avec leur clan. C’est ce qu’on appelle des sales types.
Dangereux. Il suffit de voir leurs têtes. Mallius était esclave de naissance.
Magnus l’a affranchi – sûrement pour le récompenser d’une chose ignoble.
Glaucia est resté à son service jusqu’à ce jour. Quand j’ai vu que c’était lui,
j’ai regretté de pas m’être caché à temps.
— Un costaud, ce Mallius ?
— Les dieux eux-mêmes ne naissent pas plus costauds.
— Un blond ?
— Les cheveux clairs, oui, mais laid comme un pou. Et
rougeaud. Quoi qu’il en soit, il s’avance vers moi. « T’ouvres tôt »,
fait-il. Je réponds que je suis pas encore ouvert et vais pour fermer la porte.
Mais il la coince avec son pied ; je tire quand même, alors il passe un
glaive à travers la fente. Et comme si ça suffisait pas, la lame est couverte
de sang.
— Noir ou rouge ?
— Pas trop frais, mais pas trop sec non plus. C’était
encore rouge et luisant au milieu… Impossible de fermer la porte. Je pensais
appeler au secours, mais mon épouse est une femme craintive et mes esclaves ne
sont pas de taille à lutter contre Glaucia, pour le reste… (Il jeta un regard
coupable sur le vieillard.) J’ai dû le laisser entrer. Il voulait boire du vin ;
il a vidé sa coupe cul sec et m’a demandé la bouteille. Juste là, à ta place.
Il l’a descendue tout entière. Quand j’essayais de m’éclipser, il haussait le
ton, comme pour m’obliger à l’écouter.
« Il disait qu’il arrivait de Rome avec de terribles
nouvelles, qu’il avait cavalé toute la nuit. C’est là que j’ai appris
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