Du sang sur Rome
découvert la vérité, je suggérai qu’il
m’accompagne chez Cæcilia Metella pour une seconde confrontation avec Sextus
Roscius. Je voulais percer sa coquille, et trouvai plus approprié d’arriver
chez la protectrice non en inquisiteur solitaire, mais comme un humble visiteur
en compagnie de son jeune ami.
Tiron consignait les grandes lignes de mon compte rendu. Il
dressa l’oreille au nom de Cæcilia, et essaya de trouver un prétexte pour nous
accompagner. Naturellement, il pensait à la jeune Roscia et semblait de plus en
plus agité au fur et à mesure que le moment du départ arrivait, mais il ne dit
pas un mot.
— A propos, j’aimerais pouvoir emmener Tiron, dis-je. J’ai
besoin de me rafraîchir la mémoire sur certains détails relatifs à notre
enquête de l’autre jour, sur la Maison aux Cygnes, notamment.
Le visage de Tiron s’illumina.
— Ah, je voulais justement prendre des notes et faire
quelques observations sur ton compte rendu, répliqua Cicéron, je me
débrouillerai sans lui.
Dans son exaltation à la perspective d’une victoire à la
tribune du Forum, Cicéron mordit dans un quignon de pain.
J’avais menti ; je n’avais rien à dire à Tiron. C’est
avec Rufus que je discutai en chemin, tandis qu’il traînait derrière, le regard
dans le vague.
J’avais à peine remarqué Rufus la première fois que je l’avais
rencontré. Les personnes qui se trouvaient là l’éclipsaient : appartenant
à la noblesse, Cæcilia avait plus de prestige ; Cicéron le surpassait en
érudition ; pour l’exubérance de la jeunesse, personne n’égalait Tiron. Au
cours de ce tête à tête avec Rufus, je fus impressionné par sa réserve, ses
manières et la vivacité de son esprit. Apparemment, Cicéron s’était déchargé
sur lui de toute la procédure judiciaire. En traversant le Forum, Rufus saluait
ses connaissances, témoignait de la déférence à l’égard de ses aînés, était
moins guindé avec ceux de son âge ou d’une classe inférieure. Bien que n’ayant
pas revêtu la toge virile, il était visiblement connu et respecté de maints
notables.
À Rome, on mesure l’importance d’un homme à celle de sa
suite. Le train de Crassus est légendaire, il circule accompagné de gardes, d’esclaves,
de secrétaires, d’augures et de gladiateurs. Nous sommes en République, après
tout, et la quantité plus que la qualité attire l’attention.
Je compris tout à coup qu’on nous prenait, Tiron et moi,
pour l’escorte de Rufus. Cela me fit bien rire.
Rufus semblait lire dans mes pensées.
— Mon beau-frère a pris l’habitude de se déplacer sans
la moindre suite, pas même un garde du corps. En prévision de sa retraite,
dit-il, et de son retour à la vie privée.
— Est-ce bien sage ? demandai-je.
— Sylla estime que sa gloire est telle qu’il n’a plus
besoin d’impressionner les autres. Ses compagnons pâlissent à ses côtés, comme
des chandelles à la lumière du soleil.
— Et tandis qu’on peut souffler une chandelle, nul ne
peut éteindre le soleil…
— … qui se passe de garde du corps. Sylla se proclame
Favori des dieux – comme s’il avait épousé la déesse elle-même. Il se
croit béni des dieux. Qui ne serait pas d’accord ?
Rufus avait pris l’initiative de parler franchement de l’époux
de sa sœur.
— Tu ne sembles pas le porter dans ton cœur,
commentai-je.
— J’ai le plus profond respect pour lui. C’est un grand
homme, assurément. Je préfère ne pas être dans la même pièce que lui, voilà
tout. Je ne sais ce que Valeria lui trouve ; mais elle l’aime sincèrement.
Elle est impatiente de porter son fils ! Elle ne fait qu’en parler au
gynécée. Étant la favorite du Favori des dieux, elle devrait arriver à ses fins !
— Tu as appris à le connaître.
— Exactement.
— Et son entourage ?
— Tu veux me parler de Chrysogonus.
— Oui.
— Tout ce qu’on raconte est vrai. Bien entendu, il n’y
a plus que de l’amitié entre eux deux. On dit que Sylla est volage en amour,
mais il n’abandonne jamais ses amants ; il ne retire pas son affection une
fois qu’il l’a donnée. Sylla est avant tout constant, comme ami ou comme
ennemi. Quant à Chrysogonus, si tu le voyais, tu comprendrais. Parfois, les
dieux se plaisent à mettre l’âme d’un lion dans le corps d’un agneau.
— Un agneau féroce alors ?
— Oublie l’agneau. Sylla lui a tondu la toison ;
il lui en
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