Duel de dames
n’était-ce pas aiguillonner
les femmes à être infidèles ? Isabelle s’inquiétait, car, si le scandale
éclatait, les dommages seraient grands, et elle en serait elle-même salie. Et
pourtant elle les enviait de les voir si heureuses, sa propre abstinence lui
devenait intolérable. Elle ne rêvait qu’à d’autres heures éblouissantes, mais
son orgueil hésitait à faire le premier pas, craignant l’humiliation d’être
rejetée depuis tout ce temps. Louis l’aimait-il encore ? Il lui fallait
pourtant savoir si elle l’avait perdu.
L’occasion se présenta quelques jours après l’exil
de Valentine. Orléans avait décidé d’une chasse au sanglier de grand matin, il
avait besoin d’action pour décharger sa colère et ses contrariétés
gouvernementales.
Les fleurs de mai faisaient exploser de couleurs
la nature. Le temps s’annonçait magnifique. Isabelle fut de la chasse, qui n’avait
pas, pourtant, sa préférence. Elle se présenta au grand portail de la rue
Saint-Antoine, où la place grouillait d’un monde d’enluminures. Les prélats de
l’église Saint-Paul bénissaient les chasseurs et les chiens. Ces derniers
menaient grand vacarme, les vautres et les dogues étaient des animaux puissants,
plus dressés à l’ours et au sanglier qu’au chevreuil. De nombreux valets
tenaient les chiens par couples et avaient bien du mal à les contenir, ils
emmêlaient leurs laisses, tiraient avec force, s’entrecroisaient, piétinaient
sur place, s’exaspéraient en aboiements et gémissements impatients, la langue
pendante.
Après les oraisons, les sonneurs cornèrent l’appel
au départ en de longs mugissements successifs qui excitèrent davantage les
chiens et firent piaffer les chevaux. Isabelle, montée sur Alezane en tenue de
cavalière, se dirigea vers son beau-frère. Elle portait la même gonelle que le
jour de leur première étreinte.
— Dieu vous garde en ce beau jour, messire d’Orléans.
— Dieu vous garde pareillement, madame !
Que nous vaut l’honneur de votre présence ? s’étonna-t-il d’un air
maussade.
— Mais ce beau jour, précisément, dit-elle
avec un léger sourire.
Le duc la suivit des yeux un bref moment, alors qu’elle
faisait effectuer une volte à Alezane, et rejoignait ses compagnons à l’arrière
de la suite. Elle était satisfaite, elle s’était fait voir du beau duc.
Éloignés de la presse, Louis de Bavière et
Anne de Bourbon l’attendaient. Près d’eux devisaient Jeanne de Boulogne
et son fringant amant, le chaussier Jacques Thibaut, admirable de séduction
dans ses atours.
Les veneurs, en pourpoint bleu, lancèrent la
sonnerie qui ouvrit le grand portail, précipitant la chasse dans la rue
Saint-Antoine qu’elle envahit de son tumulte, en direction de la forêt royale
de Vincennes.
Les aboiements brefs des vautres résonnaient sous
les frondaisons, indiquant qu’ils avaient trouvé la voie du vieux solitaire, au
sud de la forêt, où les avait conduits le grand veneur de Louis d’Orléans. La
chasse au sanglier était sauvage et violente, elle nécessitait des chiens
courants, nombreux et courageux, car il n’était pas rare qu’ils se fassent
éventrer par les défenses de la bête noire, plaies qu’il fallait recoudre
promptement si le chien vivait encore. Parfois, au ferme, des chasseurs se faisaient
blesser aussi en voulant plonger leurs pieux dans le flanc de l’animal encerclé,
acculé, qui se défendait avec puissance.
Le prince d’Orléans se trouva isolé dans l’ardeur
de la poursuite, ce qui arrivait souvent dans ces immenses forêts primaires ;
une sonnerie particulière cornait alors pour rassembler les égarés à la fin de
la chasse. Il tourna bride dans la bonne direction et se trouva nez à nez avec
Louis le Barbu qui venait de sauter par-dessus un taillis sur le chemin
forestier.
— Messire, appela-t-il, nous avons perdu la
reine !
— Comment ça perdue ?
— Elle a voulu suivre une biche avec son faon,
nous l’avons laissée faire, et puis elle a disparu. Nous avons eu beau crier, appeler,
rien ne répond ! Seule Alezane nous est revenue, les étriers vidés.
— Elle est tombée ! hurla le duc. Comment
avez-vous fait pour la laisser seule ?
— Il faut que toute la chasse se mette à la
chercher !
— Pas le temps, hurla-t-il encore. Conduisez-moi
où vous l’avez vue pour la dernière fois.
C’était ce que le seigneur
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