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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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ainsi
détruisit-elle l’œuvre parfaite du Créateur, à en profaner ce Dieu qu’elle
adulait, jusqu’à prier le Diable même pour le conjurer.
    La Grâce se redressa sur son grabat, avec une
grimace de souffrance.
    — Elle est morte à la fleur de l’âge, murmura-t-il.
Un jour de décembre, elle s’était étendue à plat ventre, bras écartés, sur les
dalles glacées de la cathédrale de Munich devant le maître-autel. Elle y resta
des heures, pour je ne sais quelle mortification. Elle ne s’en releva que pour
s’aliter, agitée d’une toux opiniâtre qui l’emporta en trois jours. Elle n’avait
pas trente ans, tu n’avais que dix ans. Voilà pourquoi je prêche le bonheur
terrestre, la jouissance des corps et les estomacs rassasiés.
    — Frère Jean la Grâce, j’ai besoin de vous. Savez-vous
qu’il m’a encore été donné une fille ? Le roi ne sait faire que des filles,
son frère que des garçons.
    Le supplicié resta un moment silencieux. Il
souffrait de tout son corps martyrisé, et la fièvre le tenait, il lui fallait
du temps pour assembler ses idées. Devait-il pousser la reine dans les bras d’un
infanticide, alors qu’elle avait tant pleuré la mort de son fils aîné ? Avant
qu’elle ne se pende, il avait recueilli la confession déchirante de la nounou
Laudine, qui avait été contrainte à ce crime [74] . Il savait quel
rôle avait joué l’infâme Craon dans cette abomination, Louis n’avait alors que
quatorze ans, il était vulnérable, si jaloux de la reine et si malléable entre
les mains démoniaques de son favori. Le duc d’Orléans ne savait pas ce qu’il
laissait faire, car, si on pouvait lui reprocher bien des travers, il n’était
pas cruel. Le prince, depuis, avait beaucoup mûri. Il avait chassé Craon, son
mauvais génie, et était aujourd’hui un homme fin et cultivé, d’esprit curieux, aimant
l’art et la beauté, à l’esprit prompt, éclairé, porté sur l’étude. La violence
et le sang lui faisaient horreur, il ressemblait à son père, le sage Charles V.
Il ne rêvait que de la gloire d’une croisade. Certes, il aimait à outrance les
plaisirs de la vie, mais était-ce à lui, Jean la Grâce, de lui reprocher son appétit
de vivre ? Louis ne pouvait que servir la reine. Et, à bien y réfléchir, il
devait un fils à sa belle-sœur en réparation.
    — Qu’attends-tu pour te faire faire un petit
mâle ? souffla-t-il enfin. Le beau duc d’Orléans n’attend que ça, et je
sais que tu es amoureuse.
    — Tu déparles, frère Jean, comme toujours !
C’est plus qu’un adultère, c’est un inceste !
    — C’est de l’amour ! Il n’est pas ton
frère et c’est un Valois ! Je gage qu’il aura dans sa descendance des rois
de France [75] ,
alors pourquoi ne pas commencer tout de suite si ton petit Charles ne dure pas ?
    — Veux-tu que je sois damnée ?
    — Pas question, j’y veillerai. N’oublie pas
que je serai à la droite du Seigneur et qu’il ne veut que ton plaisir. Serais-tu
belle comme ta mère, et tout aussi rigide ? Te complais-tu à te faire
souffrir ? Tu es belle et sacrément sensuelle, une double grâce qui te fut
donnée par Dieu, et tu agis comme ta mère, tu détruis Son œuvre !
    — Je ne dois plus t’écouter ! lança-t-elle
en se levant et en se détournant.
    — Alors, va ! Et il se pourrait qu’il n’y
ait pas à attendre bien longtemps, peut-être Louis sera-t-il lui-même le futur
roi. Pourtant tu as besoin de soutien, Reinette, d’un soutien puissant. Veux-tu
des fils d’un dément ? Veux-tu pourrir ta propre descendance ? Sacrifier
tous tes enfants ?
    Il haletait, la sueur perlait sur son front, sa
plaidoirie le vidait de ses forces.
    Isabelle gémit des tourments de son aumônier, elle
était horrifiée d’être ébranlée par ses arguments, d’être convaincue. Elle
voulait être dans les bras du jeune duc, contre son torse musclé et délié, contre
un corps sain et vigoureux qui sentait bon la bergamote. Elle se voulait
rassurée, protégée, elle était avide de jouissance.
    Elle baissa les bras, signe de sa défaite.
    — Je suis si effrayée par tous ces pauvres
gens que l’on traîne à une mort ignominieuse, dit-elle avec lassitude. Le
gouvernement m’a accordé la promulgation d’un décret qui donne un confesseur à
tous les condamnés, afin que, lorsqu’on navre le corps, l’âme soit sauvée. Vous
pourrez ainsi vous confesser de m’avoir séduite.
    — Bien !

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