Duel de dames
d’un geste
impatient ses chambrières qui prirent la fuite en ramassant bijoux et vêtements
épars. Elle se rafraîchit le visage à la fontaine de la chambre. Des fragrances
de vétiver flattèrent les narines du prince, la senteur préférée de Valentine. Il
pensa à celle d’Isabelle, la violette.
Il aimait la reine avec passion. Il en était tombé
amoureux dès le premier regard. Mais s’il fut, tout comme son aîné, foudroyé d’amour
pour cette ravissante poupée brune bavaroise, ce fut Charles VI qui l’épousa.
Louis, avec la certitude de ses quatorze ans, avait lancé alors : « Qu’il
l’épouse, moi, elle m’aimera ! » Et c’était toujours avec cette
certitude, cette obsession secrète à peine occultée par son propre mariage, qu’il
songeait à elle.
Valentine s’épongeait le visage avec une touaille
d’épaisse cotonnade tout en se dirigeant vers sa demoiselle à atourner [21] .
Elle posa le linge humide sur la tablette en se laissant tomber dans le
faudesteuil.
Louis ruminait toujours, songeant à la reine, à
cette gifle pour laquelle il aurait fait rendre gorge au mari, si celui-ci n’avait
été le roi. Pourquoi cette soudaine disgrâce ? Ils étaient liés de bonne
et tendre amitié, bien que le prince en espérait davantage. Ils galopaient, chassaient,
jouaient, riaient ensemble, ils étaient du même âge. Comment pouvait-elle
oublier qu’ils avaient été complices dans la conspiration qui avait chassé ses
oncles et rendu le pouvoir à Charles VI ? Combien ils s’étaient
divertis à édifier la cour d’amour ? Isabelle avait le visage si défait au
sortir de l’hôtel de Sens, qu’il aurait juré qu’elle avait pleuré.
Valentine, d’un geste brusque, s’empara d’un petit
pot de cristal taillé qui lui échappa des mains. Elle jura en italien et le
récupéra de justesse, elle prit du bout des doigts une noisette d’onguent fait
de moelle de bœuf. Tout en s’enduisant le visage du baume, elle soupira d’agacement
en cherchant le couvercle à col-de-cygne ciselé qui avait roulé sous la
demoiselle à atourner. Elle renonça, et essuya de la touaille le fard de blanc
de baleine et de céruse qui blanchissait son teint, et le khôl de
Constantinople qui noircissait ses yeux. Isabelle se faisait ainsi un visage de
porcelaine quand elle devait se montrer en majesté. Elle était alors d’une
auguste beauté qui hantait le jeune duc.
Valentine était blonde, mais elle avait
naturellement la peau brune, contrairement à la reine dont la carnation pâle
contrastait avec sa chevelure de jais. Et la mode se voulait aux blondes au
teint de lait. Chacune ainsi possédait l’un des canons de la beauté, mais
Valentine ne pouvait s’en contenter. Isabelle était sa rivale, et elle
déclarait sans vergogne que celle-ci avait les cheveux du Diable.
Un nouveau parfum, subtil, ramena Louis à la
réalité. Valentine appliquait sur son visage une goutte d’huile émulsionnée de
noyaux de pêche qui avivait la peau. Enfin elle entreprit la rude tâche de
démêler elle-même sa chevelure.
— C’est une insulte ! murmura-t-elle
entre ses dents.
Et comme Louis gardait le silence, elle enchaîna :
— C’est une insulte, à moi, à mon père, aux
Milanais…
— Et au faux pape de Rome pour faire bonne
mesure, railla-t-il.
— Ne plaisante pas avec notre vénéré Boniface [22] ,
souffla-t-elle en se signant. Mécréant ! tu iras en enfer.
Elle était italienne et en tenait naturellement
pour le pape de Rome, et, comme les Visconti, elle était d’une dévotion
outrancière. Ce qui laissait Louis d’Orléans perplexe lorsque l’on connaissait
l’histoire de cette terrible famille d’Atrides [23] . Une famille qui,
en une succession de crimes fratricides, avait fait de son beau-père l’usurpateur
de la seigneurie de Milan.
Valentine grimaça, sa chevelure et le peigne
étaient si emmêlés ensemble qu’elle n’en venait pas à bout.
— Aide-moi ! lui lança-t-elle.
— Que n’as-tu gardé tes chambrières, lui
répondit-il en se levant avec mauvaise grâce.
— Je veux être seule, mon humiliation est
déjà trop publique. Le silence du roi est une marque de mépris insupportable.
Valentine en faisait une histoire personnelle tant
elle n’avait pas été habituée à une telle négligence du roi. Depuis son mariage,
il l’appelait « sa chère sœur », et la voulait toujours placée près
de lui. Elle avait été sans
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