Duel de dames
d’une voix
étranglée.
— Non, madame, mais quatre de ses gens.
— L’armée a-t-elle été victime d’une
embuscade ?
— Non, madame, c’est notre seigneur… qui les
a tués.
La reine en resta hébétée.
— Vous voulez dire, demanda-t-elle, incrédule,
que le roi a tué lui-même ses écuyers ?
— Oui, madame, hoqueta le messager.
La reine fit relever l’homme, le fit asseoir et
commanda à la chambrière de lui servir un hanap de vin frais, puis d’aller
prévenir son frère afin qu’il vienne céans en toute hâte. Elle regarda le
coursier boire son vin d’un trait, et le laissa se remettre, elle-même avait
bien du mal à revenir de sa stupéfaction.
— Et qu’avaient donc fait ces gens pour
mériter un tel châtiment ? dit-elle enfin.
— Le son d’une lance tombant sur le casque du
page précédent, et qui résonna comme une cloche.
— Le son d’une cloche ? Vous moquez-vous,
ou êtes-vous déjà ivre ? messire, se fâcha-t-elle.
— Hélas ! À sixte, nous traversions, au
sortir de la forêt du Mans, une longue sablière du nom de landes de Bourray, une
fournaise blanche, éblouissante, où le soleil à son zénith pesait comme du
plomb fondu. Notre roi somnolait, accablé de chaleur, comme somnolaient les
pages qui le suivaient. Un porte-lance en lâcha son étendard, et la hampe de
fer vint cogner le casque du précédent. C’est bien ce son, semblable à celui d’une
cloche, qui tira notre sire de sa torpeur, dans un sursaut si violent qu’il fit
de monseigneur… un furieux.
Et il éclata de nouveau en sanglots. Isabelle s’avisa
alors que le coursier avait dans son baudrier une missive aux armes de France
qui dépassait. Dans son émoi, le coursier l’avait oubliée. Elle s’en saisit d’autorité
et la déroula en tremblant alors que son frère faisait son entrée.
— C’est du duc d’Orléans, lui lança-t-elle, se
mettant aussitôt à lire en négligeant les formules de politesse :
Mon frère bien-aimé
a perdu l’esprit. Dans sa furie, il tenta par deux fois de m’occire en m’appelant
traître, je ne dus mon salut qu’à l’esquive. Puis, taillant de son épée de tous
côtés, il tua tous ceux qu’il pouvait atteindre dans sa furie mortelle, et le
sang gicla jusque sur son visage écumant ; quatre en périrent, le
chevalier de Polignac en fut, et cela semblait ne pas en finir, tous
déguerpissaient de toute part devant son glaive tourbillonnant jusqu’à ce qu’il
se rompe et que son cheval fût épuisé.
La voix d’Isabelle se noua et elle s’interrompit, ainsi
tout était dans son cauchemar : quand on rêvait du pire, il ne fallait pas
en rire.
Son frère, lui, restait la bouche ouverte. Il
connaissait déjà l’échec de Jean Bonaventure, mais il était incapable d’assimiler
une suite si sanglante.
— Mais quelle est cette fable ? Est-ce
tout ? demanda-t-il en se saisissant du courrier qui pendait au bout des
doigts de sa sœur.
Il parcourut la lettre des yeux et reprit la
lecture :
Alors le chambellan Guillaume
Martel sauta en croupe et garrotta notre sire à pleins bras. Charles se laissa
faire, inerte, hors de sens, ne reconnaissant plus personne. Il fut mis en
charrette de bouvier et l’on s’en retourna au Mans. Voilà finie la campagne de Bretagne.
Le soir tombe, notre
sire demeure dans une atonie telle qu’on pourrait le croire mort. Chère dame, mon
cœur se brise à le voir si misérable.
Je ne puis vous en
dire davantage aujourd’hui, à complies, où, après longue prière, je vous écris
hâtivement cette lettre, le cinquième jour du mois d’août 1392, jour
funeste s’il en fut, alors que la nuit tombe, et que mon coursier attend pour
vous la faire parvenir au plus tôt.
Le seigneur bavarois secouait la tête en achevant
sa lecture, comme s’il n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Isabelle se
taisait, la mine défaite.
— Messire, demanda enfin le Barbu à l’estafette,
confirmez-vous que notre roi a tué quatre de ses pauvres gens ?
— Hélas, messire, cela est vérité.
— Et rien d’autre ne se passa ? insista
Isabelle qui songeait à leur stratagème.
— Rien, madame. Enfin, presque rien, quelque
temps auparavant, en forêt, un illuminé importuna notre sire qui n’en fit cas.
Et il narra ce que Louis savait déjà. Bonaventure
avait dit vrai en tout point.
La reine resta un moment plongée dans ses pensées
moroses, enfin elle
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