Duel de dames
avec Autan, le roi des éperviers de sa fauconnerie, dans la grosse
tour de l’ouest de la Bergerie. Quant à la levrette naine Perldemay, qui
frétillait de toute l’énergie de ses deux ans, elle ne quittait jamais sa
maîtresse. Comme son frère le lui avait prédit, ils faisaient bon commerce :
la chienne avait grandi au plus près de l’ombrageux volatile, et ils s’étaient
exercés ensemble dans les champs de Vincennes. Entre eux, une complicité
spontanée s’était établie, et l’épervier lui abandonnait alouettes, perdrix ou
palombes avec bonne grâce. Isabelle, montée sur sa splendide Alezane, pensait
qu’ils faisaient tous trois un bel équipage. Elle scrutait alternativement les
pâtures, où Perldemay n’avait pas sa pareille pour lever les volatiles qui se
terraient dans les chaumes et les bosquets, puis le ciel où tournait Autan en
grands cercles paresseux. La chienne débusqua un faisan qui s’envola, lançant
un criaillement d’indignation. Museau en l’air, Perldemay suivit le vol des
deux oiseaux, en faisant des petits sauts désordonnés et nerveux tout en
couinant d’excitation. Lorsque Autan fondit sur sa cible et l’agrippa de ses
serres en plein vol, Perldemay fila, bondissant avec une vélocité foudroyante, sachant
d’instinct où l’épervier allait s’abattre sur le sol. Elle marqua l’arrêt alors
que l’oiseau fendait de son bec crochu le crâne du faisan : la cervelle
encore palpitante lui revenait de droit. Alors l’épervier, d’un bref battement
d’ailes, sauta de côté, se désintéressa de sa chasse, trop occupé à se délecter
en déglutissant sa récompense à petits coups, balançant sa tête en arrière. Perldemay
se jeta sur le magnifique volatile aux plumes flamboyantes, et, triomphante, le
rapporta dans sa gueule à sa maîtresse, sa queue en point d’interrogation
battant fièrement au rythme de ses trottinements guillerets.
Début août, la canicule s’installa, mais Louis le Barbu
avait gagné sa bataille des puits. Réunissant toutes les pioches, les pelles et
les bras disponibles, ils avaient creusé sans discontinuer, de jour comme de
nuit, car il fallait creuser profond, jusqu’au triomphe des premières pelletées
de terre humide, annonciatrices de la nappe d’eau souterraine gonflée des eaux
de printemps. Alors que, en surface, les ruisseaux s’étiolaient peu à peu en
rigoles fétides et que les pâtures jaunissaient, le bétail serait abreuvé, et
les potagers arrosés. Le frère de la reine y gagna une grande popularité dans
le domaine de Saint-Ouen. La fortune des seigneurs dépendait de la sueur des
gens de leurs fiefs, de leur prospérité, et Louis le Barbu le savait. Depuis
son arrivée, il lorgnait vers d’autres domaines, et comptait bien faire sa
fortune en France avec celle de la reine.
Celle-ci tenait aussi aux plaisirs de l’esprit. Elle
organisa un tournoi de poésie sur le thème de la pastoure. Les courtisans
germaniques s’y essayèrent avec plus ou moins de succès, et l’on s’amusa
beaucoup. Isabelle y avait convié Christine de Pisan, qui demeurait depuis
à Saint-Ouen tant ses rondeaux et virelais avaient eu du succès, et il lui
fallut faire maintes copies tant ils plurent. Elle fit cependant une entorse au
thème en déclamant un rondeau dédié à son époux défunt qui fit pleurer bien des
dames :
Il me semble qu’il y
a cent ans
Que mon ami de moi
partit
Il y a quinze jours
pourtant :
Il me semble qu’il y
a cent ans.
Ainsi m’a ennuyé le
temps
Car, depuis qu’il
départit,
Il me semble qu’il y
a cent ans.
Et toutes le voulurent, afin de le faire enluminer.
Les ménestrels de la cour bavaroise le mirent en musique, et accordèrent sur le
poème les accents déchirants de leur citole [49] , luth ou viole d’amour [50] ,
qui fit du rondeau une chanson très populaire. Christine de Pisan y gagna
en renom et en commandes. Elle était bien la première femme écrivain à gagner
sa vie grâce à sa plume.
Il n’en restait pas moins qu’Isabelle ne songeait
qu’à cette mauvaise guerre, et elle attendait des nouvelles du Mans chaque jour.
Elle échangeait avec le duc d’Orléans de fréquents courriers. Son beau-frère
parlait du grand foutoir du ralliement guerrier, de la confusion des hommes d’armes
et de leur manque d’enthousiasme, de la suspicion qui régnait, et des osts des
ducs de Berry et de Bourgogne qui se faisaient attendre. Le Conseil
était plus
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