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Duel de dames

Duel de dames

Titel: Duel de dames Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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dames, d’échecs. On se distrayait sans éclat, il fallait tuer
le temps, un temps qui s’étirait à n’en plus finir comme la grande armée de
France sur la route de Nantes. Isabelle, assise devant son tablier de noyer, incrusté
d’ivoire et d’ébène à la façon d’un damier, était absorbée par un coup de dés
qui lui gagnait cinq cases, elle déplaça son pion en étouffant un cri de
triomphe. Elle ne vit pas son frère quitter les lieux brusquement.
    Il retrouva à l’extérieur l’un des saltimbanques
de sa suite qui agrémentait les entremets de leurs tours et de leurs saynètes. C’était
Jean Bonaventure qui revenait de la forêt du Mans. Louis l’entraîna vivement à
couvert d’un grand arbre.
    — Las, monseigneur, dit-il, j’ai fait comme
il était dit, mais je n’ai pu attirer l’attention de notre roi.
    — Comment est-ce possible ? As-tu bien
crié comme tu le devais ?
    — Plus d’une demi-heure durant. Je m’étais
grimé d’un peu de suie à me rendre méconnaissable, nu en simple froc
haillonneux, et, maigre comme je suis, j’étais d’aspect affreux. En pleine
forêt, j’ai surgi et j’ai saisi le mors du destrier royal en criant d’une voix
redoutable : « Retourne, beau sire, tu es trahi, ne va pas plus avant,
au nom de Dieu ! » Et bien d’autres choses encore. On me frappa et me
chassa, je revins pourtant, et poursuivis le roi à distance, je m’égosillai
même à chanter un psaume. Voyant bien que rien n’y faisait, à bout de souffle, je
finis par disparaître au cœur de la forêt où m’attendait ma monture près d’une
source. J’y fis hâtive toilette, je changeai de vêtements pour que nul ne me
reconnaisse. Et me voilà de retour après une course d’enfer.
    — Et personne ne te poursuivit, tu es bien
sûr ? s’inquiéta le Bavarois.
    — Personne, mon seigneur, comme il était
prévu. Qui s’alarme d’un ermite surgi de nulle part ?
    — Comment était le roi ?
    — Absent, comme tourné en dedans.
    — Ainsi tout est perdu, il y aura la guerre, grogna
Louis le Barbu avec dépit.
    — Il faut encore que je vous dise combien
cette campagne de Bretagne commence de façon bien languissante. Nulle
allégresse non plus à son passage, les paysans qui battent blé, froment ou
avoine, interrompent à peine leur tâche, et ôtent leur chapeau en se taisant, même
les cloches des églises sont muettes. Chacun y va de son silence comme s’il y
en allait d’un convoi mortuaire.
    Le seigneur de Bavière resta un instant
accablé.
    — As-tu bien gardé le secret ?
    — Sur ma foi, répondit Jean Bonaventure, la
main sur le cœur. Personne ne sait et personne ne saura.
    — Bien, très bien, approuva Louis en sortant
une bourse de son escarcelle qu’il lui lança. Te voilà récompensé comme promis.
Rejoins les tiens, restaure-toi et repose-toi. Tu as fait ce qu’il fallait, il
semble que même Dieu ne peut arrêter le roi.
    Dès que le bateleur eut disparu dans l’ombre, deux
hommes armés et vêtus de noir surgirent d’un bosquet touffu.
    — Allez, leur dit Louis à voix basse, et
payez-vous sur l’homme.
    Les deux hommes disparurent à leur tour, à la
suite de Bonaventure. Le duc de Bavière attendit, épiant le silence
froissé des feuilles des grands arbres. Il y eut un cri de surprise, puis un
gargouillis d’agonie, et le bruit de la chute d’un corps.
    Louis le Barbu soupira, il ne pouvait laisser
un tel secret survivre, puis il regagna sa table de jeu, bien décidé à taire à
sa sœur l’échec de leur stratagème. Elle le saurait bien assez tôt.
    Au matin, personne ne s’étonna de retrouver Jean
Bonaventure égorgé et dépouillé jusqu’à ses bottes, les rixes étaient
fréquentes chez les gens de cette sorte.
    Le coursier d’Orléans arriva le lendemain, 6 août,
alors que la nuit blanchissait. Réveillée en sursaut par une chambrière, Isabelle
passa une légère houppelande de soie, et le reçut aussitôt en son privé.
    Le chevaucheur, épuisé par sa course nocturne, lança
dès son entrée :
    — La campagne de Bretagne est rompue !
    Isabelle soupira de soulagement avec un grand
sourire, Dieu les avait exaucés. Sa joie fut brève, le coursier plia soudain
les genoux devant elle, et éclata en sanglots.
    — Dame, balbutia-t-il, j’ai bien triste
nouvelle de notre sire le roi.
    — Il… il est blessé ?
    Il fit non de la tête, pleurant de plus belle.
    — Tué ? ajouta-t-elle

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