Duel de dames
s’enquit, luttant contre les tremblements de sa voix :
— Comment se portait notre sire quand vous
êtes parti ?
— Bien petitement, son corps se refroidissait,
sa poitrine seule avait un reste de chaleur, et son cœur battait mollement. Les
médecins le considèrent vivant de corps, mais mort de tête par un afflux de
bile noire, disent-ils, et voilà pourquoi notre gentil sire demeure hors de
sens.
— Mais son cœur bat ! Il bat, il n’est
pas mort, s’écria-t-elle avec conviction. Ces médecins sont des ânes. Il faut
réveiller Ozanne de Louvain, qu’elle se rende à son chevet, elle saura ce
qu’il convient de faire.
— Hélas, madame, nul ne passe, les médecins
font barrage à l’entrée de sa chambre.
— Ozanne passera !
— Les oncles, de même, tiennent le roi
confiné.
— Les oncles ? rugit Louis le Barbu.
— Il semble que les princes des Fleurs de lys
font le ménage autour de leur neveu que l’on dit mourant, continua le coursier.
Les Marmousets ne peuvent approcher leur souverain, ainsi que le connétable, Olivier
de Clisson.
Les princes en profitaient-ils déjà pour reprendre
le pouvoir ? Il fallait agir. Il fallait que Charles reprenne ses sens au
plus tôt. Isabelle sut alors ce qu’elle devait faire, et qui solliciter. C’était
leur seul recours.
Elle lança ses ordres avec une soudaine énergie :
elle congédia le coursier, et fit quérir Ozanne de Louvain et Christine de Pisan,
avec commandement de s’apprêter sur-le-champ pour une chevauchée, puis de s’enquérir
de la reine au plus vite.
— Une chevauchée ! Qu’as-tu en tête, sœurette ?
s’étonna Louis.
— Tu les accompagneras avec des hommes d’armes
jusqu’à Paris, au quartier de la Grande Boucherie, puis tu conduiras Ozanne de Louvain
jusqu’au Mans.
— La Grande Boucherie ? demanda le Barbu
avec stupeur, et que veux-tu que je fasse en ces mauvais lieux.
— Alerter maître Nicolas Flamel, lui seul
peut secourir le roi et le royaume.
— Le copieur ou alors l’alchimiste dont tu m’as
tant parlé ?
Isabelle n’avait confié sa visite infructueuse
avec l’écrivain public qu’à son frère.
— Il faut qu’il soit alchimiste !
répliqua-t-elle. La vox populi ne peut pas se tromper, même les princes
le courtisent, s’obstina-t-elle avec désespoir en songeant au scepticisme de
Bois-Bourdon, son bel amour perdu. Obtiens de lui un flacon de son élixir, de
gré ou de force, par supplications ou par violence. Mais obtiens-le, avec l’aide
de l’amitié qu’il porte à Christine. Puis, rends-toi au Mans avec Ozanne, qu’il
le boive sans en perdre une larme. Seul cet élixir peut rénover sa jeunesse
usée, sa santé, et lui rendre la vie, acheva-t-elle à bout de souffle.
Louis le Barbu prit sa sœur dans ses bras, et
la serra fort pour calmer son exaltation. Il la sentait au bord de la crise
nerveuse.
— Tout doux, ma princesse. S’il faut qu’il
soit alchimiste, il le sera !
Elle reprit lentement sa respiration contre sa
poitrine, cherchant à recouvrer son calme. Puis elle se dégagea doucement :
— Va, gentil frère, il faut armer tes gens.
Il lui prit les deux mains et les serra, puis
déposa un baiser sur sa joue.
— Tout sera fait comme tu l’entends, la
rassura-t-il avant de sortir à grands pas.
Dès que son frère l’eut quittée, elle se mit à son
lutrin, et entreprit d’écrire une supplique à maître Flamel. Elle l’implorait
pour le roi et pour le salut du royaume, en dépit de l’hermétique, de livrer
quelques gouttes de son précieux élixir, et elle, reine de France, jurait sur
Dieu d’en garder le secret.
Alors qu’elle cachetait la lettre de son sceau, Christine
de Pisan, habillée à la hâte, encore embrumée de sommeil, vint saluer la
reine. Isabelle lui donna la lettre :
— Donne ceci à maître Flamel, par amitié et
devoir il te donnera une potion…
Ozanne de Louvain entra à son tour en tenue
de cavalière, Isabelle se tourna vers elle.
— Il faut que tu fasses boire cette potion à
Charles, on le dit aux portes de la mort en la ville du Mans.
— Mon Dieu, madame, il est retombé dans ses
fièvres chaudes ?
— Pire, Ozanne, bien pire. Seul un certain
élixir de maître Flamel peut le sauver,
— Quel élixir, madame ? demanda
Christine effarée.
Isabelle voyait bien que la poétesse ignorait tout
de l’alchimiste.
— Son élixir fameux, éluda Isabelle avec
impatience.
Weitere Kostenlose Bücher