Duel de dames
que le château de Creil était surveillé par les sbires des
oncles qui faisaient régner la terreur…
— Pas tous à la fois, je n’y comprends rien, s’écria
Isabelle.
Ils se turent, tous en même temps. Catherine prit
alors la parole :
— Dès que Etzel et moi avons su le malheur de
la forêt du Mans, nous nous sommes précipités à Saint-Ouen pour te retrouver, Isabelle.
On disait le roi mort. À la Bergerie, nous avons appris que la reine était
partie sous bonne garde bourguignonne pour Paris, où on la tenait au secret à l’Hôtel,
mais aussi que le roi n’était point mort, même s’il ne valait guère mieux. Nous
avons repris espoir, mais il y avait partout des hommes d’armes qui
contrôlaient les voyageurs, surtout les nobles équipages et les courriers. Nous
avons regagné Paris, déguisés en marchands, et nous nous sommes dissimulés
incognito au sein de la cour germanique de ton frère, dans la maison mitoyenne
de Pont-Perrin, car personne ne pouvait entrer à l’Hôtel royal sans montrer
patte blanche. Il nous a semblé que nous te serions plus utiles à l’extérieur
car il nous apparaissait que tu y étais tenue prisonnière.
— Certes, approuva la reine, prisonnière est
bien le mot. La duchesse Marguerite de Bourgogne faisait bonne garde, rien
ne pouvait se dire et s’écrire sans passer par elle. Je fis malgré tout bonne
figure car elle fut bonne pour moi, comme une mère, à mon arrivée à la cour de
France. Mais Valentine prit de très haut cette surveillance, dit-elle avec un
petit sourire de satisfaction. La duchesse d’Orléans revendiqua ses titres, son
rang, et son époux qui était presque roi. C’était fort malhabile. « Presque,
madame, ce n’est pas être ! lui a rétorqué Marguerite. Et vous
faites un peu trop fi de la vie de notre dauphin. Comptez-vous, comme le roi, l’envenimer
avec vos poisons italiens ? Ah ! la male heure où mon beau neveu d’Orléans
a mis une couleuvre milanaise dans la corbeille des Fleurs de lys. »
— Une couleuvre milanaise, comme cela lui
sied ! Valentine a dû en être mortifiée, s’esclaffa Catherine.
— Pis que ça, la peur la fit taire. Et, paraît-il,
elle se mit à prier pour la santé de mon fils de crainte d’être accusée de la
plus petite fièvre. Elle fut fort soulagée quand Charles nous libéra en nous
faisant mander à Creil.
— C’est ce que nous avons appris, car des
rumeurs et informations filtraient de l’Hôtel royal jusqu’à la maison de
Pont-Perrin.
— Mais que veux-tu dire à la fin en parlant
de vie et de mort ? insista la reine.
— J’y viens, Isabelle. Il s’agit bien de vie
ou de mort. C’est pourquoi, avec Etzel et trois de ses chevaliers, nous nous
mêlâmes à un groupe de pèlerins, qui sont nombreux à parcourir les routes en
oraisons, pieds nus, pour la guérison de leur roi. C’est ainsi que nous avons
gagné Creil et de cruels érythèmes plantaires. Notre aspect loqueteux n’éveilla
pas les soupçons…
— Vas-tu cesser de discourir et venir au fait,
s’impatienta la reine de plus belle.
— Il y avait urgence à prévenir notre bon roi, continua
Catherine sans se démonter, car les nouvelles devenaient alarmantes. Nous
avions une alliée à l’Hôtel solennel des Grands Ébattements : la jeune
duchesse de Berry, Jeanne de Boulogne. Elle nous fit avertir que, malgré
ses supplications, les oncles avaient condamné à mort les Marmousets enfermés à
la Bastille.
*
Dans la galerie de la verrière de Saint-Hubert, la
table du souper avait été dressée, car un banquet était offert en l’honneur des
pèlerins. Ils avaient repris figure humaine, et trouvé des atours dans les
garnements [59] des courtisans. Catherine portait une robe moirée de bleu changeant, au surcot
perlé, un cadeau d’Isabelle qui lui allait à merveille. Mais l’humeur n’y était
pas, le silence était lourd, et les échansons et écuyers-tranchants se
déplaçaient discrètement, n’osant faire tinter verres, plates ou aiguières. Les
musiciens avaient été chassés. Chacun respectait la sombre méditation du roi.
Il venait de quitter le festin pour aller se
planter devant le cerf merveilleux de saint Hubert, tournant le dos aux
convives. Il ruminait : son connétable s’était enfui, son gouvernement
démembré, ses ministres chassés et leurs biens confisqués, certains étaient
emprisonnés et condamnés à mort. Comment ses oncles avaient-ils pu
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