Duel de dames
allait falloir faire admettre à Charles son état, et
les risques de rechutes.
Mais comment dire à un fou qu’il est fou ?
Charles trouva son maître dans sa cellule, envahie
de feuilles de vélin, de plumes et d’encrier, assis à son pupitre, en pleine
écriture. Mézières l’accueillit avec chaleur et lui donna l’accolade. Il l’avait
connu enfant, et leurs relations tenaient du père à un fils.
— Je t’attendais, mon roi.
Charles se laissa tomber sur un tabouret, la tête
basse, tout à son accablement.
— J’ai commis de grands crimes.
— Je les connais.
— Je m’en suis confessé à mon aumônier, frère
Pierre de Foissy. Il m’a absous, et m’a donné des pèlerinages en pénitence
auxquels je me soumettrai sous peu.
Mézières s’assit en face de lui, et lui prit les
mains.
— Voilà qui est bien, mon prince.
Charles releva les yeux, ils étaient embués de
larmes.
— Las, je ne lui ai pas tout dit. Foissy n’aurait
su l’entendre.
— Que veux-tu dire ? demanda le
patriarche avec une sourde inquiétude.
— J’ai tué quatre écuyers innocents de mes
mains, que Dieu les prenne en pitié, et me pardonne. Mais, si ce sont mes bras
qui ont frappé, ce n’était pas ma volonté…
— Je le sais, noble roi.
— Non, vous ne savez rien, ce n’était pas moi,
c’était Georges.
Philippe resta un instant interloqué, puis
fourragea dans sa barbe, l’air tourmenté. Il demanda avec douceur :
— Qui est Georges ?
— Un démon qui me possède parfois, sans que j’y
puisse rien.
Mézières resta à nouveau songeur.
— Je ne suis pas fou, s’emballa le roi en se
levant. C’est ce démon, ce démon qui me commande et qui fait tout le mal.
— C’est impossible, répondit Philippe avec
encore plus de douceur, inquiet de l’agitation de Charles. Je ne connais aucun
Georges dans la cohorte démoniaque.
— Il faut bien qu’il y en ait un, puisqu’il
tue et me torture !
— Aucun démon ne saurait tenir ton âme, tu es
l’oint du Seigneur, le saint chrême les écarte irrémédiablement et te protège.
— Je sais bien, moi, que parfois je suis
Georges ! lança le roi plus agité que jamais.
— Je te crois, Charles. Mais puisque cela ne
peut être un démon, ce ne peut être qu’un saint. Et s’il s’appelle Georges, c’est
le grand saint Georges.
Charles s’arrêta pile.
— Celui qui terrassa le dragon ?
— Celui-là même. Mais assieds-toi, et
écoute-moi avec calme.
Mézières souriait dans sa barbe blanche, il venait
de trouver comment faire accepter au roi ses promulgations. Charles vint se
rasseoir en face de lui avec mauvaise grâce.
— Il se peut que ce soit un grand prodige, sourit
encore Mézières.
— Un prodige, dites-vous ? Un prodige
qui me fait lever l’épée contre mes serviteurs ?
Comme Charles se relevait avec indignation, Mézières
cessa de sourire et usa de son autorité comme il l’aurait fait pour un enfant.
— Je t’ai dit de t’asseoir. Tu veux m’entretenir,
mais tu pleurniches sans cesse, et tu ne m’écoutes pas !
Le roi reprit sa place, plus morose que jamais.
— Ne m’interromps plus, et laisse-moi te conter
l’histoire de saint Georges, elle est édifiante.
— Je la connais, messire, grommela Charles.
— Tu la connais, mais est-ce que tu l’as
comprise ?
— Qu’y a-t-il à comprendre ?
— Bien plus que tu ne l’imagines. Alors
écoute-moi attentivement : en Orient, il y a fort longtemps, les habitants
d’une ville étaient terrorisés par un dragon pernicieux. Non seulement il se
nourrissait de leurs agneaux et brebis, mais il exigeait chaque année deux
jeunes gens en sacrifice. Un chevalier chrétien, Georges, vint à passer par là
et fut ému de l’affliction de ce peuple. Georges défia le dragon et engagea
avec lui un combat acharné, et, avec l’aide du Christ, il triompha.
— Je sais ! C’était un chevalier de
grande vaillance, dit le roi avec amertume, alors que moi…
— Alors que toi, tu es le roi ! coupa
Mézières avec fermeté. Il faut vaillance et courage pour mener un royaume sur
le chemin de l’unité de la foi, de la paix et de la prospérité, et ne pas
combattre des chimères. Tu prends tout au pied de la lettre, mais cela n’est qu’une
allégorie, ce n’est pas cet exploit qui fit de lui un saint, mais son martyre.
— Certes, mais c’est cet exploit qui fit de
saint Georges l’idéal chevaleresque
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