Duel de dames
simultanément et d’en
élire un autre, ou la réunion d’un concile qui aurait pour but de trancher entre
les deux. Puis ils proposèrent de faire lire publiquement un mémoire sur les
grandes nuisances du schisme faites à la très sainte Église catholique.
Pour l’entendre lire, Charles VI reçut
solennellement l’orateur désigné, frère Guillaume Barrault, personnage d’une
rare éloquence, dans sa salle Charlemagne. Il y avait là les princes des Fleurs
de lys, de doctes théologiens, d’éminents ecclésiastiques des deux obédiences
et le cardinal Pierre de Luna, de retour à Paris.
Le mémoire, comme il se devait, commençait par un
panégyrique du roi très chrétien, Charles VI. Puis il exposait comment les
deux compétiteurs devaient faire sans regret le sacrifice de leurs prétentions,
pour faire cesser cette désunion sacrilège, cette hérésie, car un seul pasteur
pouvait conduire le troupeau de Dieu. Il en développait longuement les raisons,
au nom du Père, de Jésus-Christ et du Saint-Esprit. Puis frère Guillaume passa
aux choses sérieuses, sa voix s’éleva, tonna :
« Ô calamité effroyable ! Ô prodige
horrible du schisme ! c’est la brebis qui défend à présent le troupeau
contre l’oppression violente du pasteur. Ô siècle de honte et d’infamie ! Ô
sainte Église plongée dans cet abîme de maux par l’impiété criminelle de tes
enfants ! Oui, la postérité sera frappée de stupeur, d’étonnement et d’horreur,
en apprenant ce scandale monstrueux [68] ! »
L’orateur tint ainsi son auditoire en haleine
trois heures durant. Il accusa les cours pontificales du crime de simonie, fustigea
les prélats qui n’avaient rien de saint, de juste, d’équitable, d’honnête, qui
méprisaient le mérite, se repaissaient de crimes, de divertissements, de
débauches, de leurs femmes qui étaient celles des autres, mais des enfants qui
étaient bien les leurs.
« On a peine à reconnaître aujourd’hui l’Église
de Jésus-Christ, même les pierres jettent des cris de détresse, faut-il alors
que nous restions muets ? Criez, dit le prophète, ne cessez point, et ne
vous en effrayez pas, je suis avec vous ! Comme les disciples de Jésus, assemblés
et unis par la concorde le jour où le Saint-Esprit descendit dans leur âme, où
Il les a emplis des trésors de Sa grâce, comme nous croyons qu’il a assisté
cette assemblée si unanime dans ses sentiments ! » conclut enfin
Guillaume Barrault.
La salle éclata en applaudissements et en huées. Le
libelle fit grand bruit, fut jugé par les uns diffamatoire contre le
Saint-Siège apostolique, ou, par d’autres, le reflet d’une vérité accablante
connue de tous. La concorde n’était pas pour demain. Si le roi avait écouté
jusqu’au bout avec ferveur, car il était du parti de la cession, ce ne fut pas
le cas du duc de Berry qui étouffait d’une folle colère. Il en tenait pour
le pape Clément VII avec lequel il entretenait d’étroites et gratifiantes
relations, notamment dans le commerce des indulgences. Et l’Université ne
cachait pas dans sa diatribe qu’elle était pour la destitution des deux papes, qu’elle
accusait ouvertement de corruption et de dépravations. Bourgogne, comme le roi,
était pour la cession. Ces deux obédiences empoisonnaient depuis trop longtemps
ses États, les Flandres étaient romaines, la Bourgogne avignonnaise. Louis d’Orléans
était pour un conclave en faveur du pape Clément, il pensait toujours à ses
terres pontificales italiennes. À son côté, Pierre de Luna se taisait. Depuis
son retour, il avait à nouveau inondé de libéralités tous ceux qu’il pouvait
corrompre en faveur de Clément VII, Berry et Orléans étaient les premiers
servis. Ces deux puissants princes apporteraient la contradiction au Conseil du
roi. Il fallait à tout prix empêcher la cession. Luna avait du génie pour
embrouiller et faire traîner les choses.
Charles fut profondément déçu par les violentes
dissensions qui éclatèrent au sein de sa cour et de son Conseil, mais plus
encore dans sa propre famille. Déstabilisé, tiré de tous côtés, il finit par
convenir que le mémoire distillait le poison de la calomnie. Il pria l’Université
de s’en tenir là et déclara qu’il avait autre affaire urgente à s’occuper. Les
docteurs et les maîtres, en protestation, suspendirent leurs leçons, prédications
et les actes d’école jusqu’à ce que l’on fit
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