Duel de dames
Isabelle
eut le sentiment que ses femmes lui cachaient quelque chose : sourires
contraints, visages défaits, conversations furtives qui s’éteignaient à son
approche, tout concourait à l’angoisse qui lui faisait pressentir un malheur.
Ce fut Catherine de Fastavavin qui finit par
le lui révéler, elle n’avait cure de l’interdit. D’ailleurs de quels châtiments
pouvait-on l’accabler encore, elle qui était si désespérée depuis le tragique
charivari de ses noces ? La reine apprit l’état du roi avec accablement. Ainsi,
il était de nouveau à Creil, voilà pourquoi Ozanne s’absentait si souvent.
— Mais moins encore que la Couleuvre
milanaise, avait précisé la chambellane avec ressentiment, le roi la fait
mander sans cesse, il semble que seule sa très chère sœur arrive à le
tranquilliser.
— Il faut qu’Ozanne retourne chez Nicolas
Flamel.
— Elle l’a fait, mais la potion est restée
sans effet.
— Cela ne se peut !
— Cela se pouvait, avait prévenu dame Pernelle,
quand le cœur du malade n’était pas pur.
— Le roi n’aurait pas le cœur pur ? s’était
indignée Isabelle. Au Diable dame Pernelle, c’est maître Flamel qu’il faut
solliciter !
Ozanne, sur les ordres d’Isabelle, était retournée
à l’enseigne de la Fleur de lys, rue des Écrivains, mais dame Pernelle, rougissante,
lui avait donné une potion, et avait dit le maître absent.
L’épouse de Nicolas ne savait pas mentir.
À la fin de ses relevailles, la reine avait fait
convoquer les princes des Fleurs de lys. Ceux-ci avaient déjà composé leur
gouvernement ainsi qu’ils l’avaient juré en cas « d’empêchement » du
roi : Orléans serait régent de France, les oncles et Louis le Barbu
au conseil de régence. Elle-même avait la tutelle des enfants royaux. C’est à
ce titre qu’elle réunissait ce Conseil restreint. Le duc d’Orléans en était
absent. Elle s’était informée de lui d’un ton courroucé.
— Le prince est à Creil avec son épouse, lui
avait expliqué le duc de Bourgogne, auprès de son frère le roi. Il vous
demande le pardon par ma voix.
« Avec son épouse ! » songea-t-elle
avec amertume. Alors qu’elle-même avait tellement besoin de lui.
— Dites-lui, messire de Bourgogne, que
je veux l’entendre de sa bouche.
Philippe le Hardi la salua en signe d’acquiescement.
Elle leur avait alors fait part du prénom de sa
fille : Marie. Elle serait vouée à la Vierge pour la guérison du roi son
père. Les princes avaient approuvé, et on avait fixé la date du baptême
officiel. Enfin, ils avaient débattu des parrains et des marraines. La reine
avait des exigences : l’une des marraines serait Marie de Bourbon, la
supérieure de l’abbaye de Poissy, célèbre couvent qui ne recevait que les
filles de grande noblesse. L’un des parrains serait maître Nicolas Flamel. La
discussion avait été âpre à propos de ce dernier, jugé indigne, par sa
condition, de parrainer une fille de France. Isabelle n’en avait pas démordu. C’était
la seule façon de faire venir à l’Hôtel solennel cet insaisissable alchimiste. Ce
dernier ne pourrait s’y soustraire, car refuser cet honneur aurait été une
grave insulte au roi et à la reine.
C’était lui qu’elle attendait en ce jour, dans l’ombre
de la chapelle de Saint-Louis.
Les cloches sonnaient à la volée, saluant l’entrée
d’une nouvelle brebis dans le troupeau de la Chrétienté. La nef se vidait, les
nourrices ramenaient Marie dans les appartements des enfants royaux. Personne n’avait
aperçu la reine, sauf Flamel qui se savait attendu et ne pouvait se dérober.
Jean la Grâce chuchota à l’oreille d’Isabelle :
— Sais-tu que c’est ta fille que tu donnes en
sacrifice pour sauver le roi ?
— Ne sommes-nous pas toutes sacrifiées ?
Je la sauve plutôt d’un monde par trop cruel.
— Promise dès ses cinq ans à vivre enfermée
dans un couvent, aussi prestigieux soit-il, c’est ainsi que tu la sauves ?
— Abraham était prêt à sacrifier son fils
Isaac sur le commandement de Dieu. Il me semble, frère Jean, que Marie aura
sous le voile meilleur sort que bien des femmes.
Il était coutume de vouer des filles à la vie
religieuse dès leur naissance. Isabelle en voulut à son confesseur de le lui
reprocher, comme d’autres lui faisaient grief de ne pas aimer ses enfants. Pourtant
elle passait de longs moments en leur compagnie. Elle adorait
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