Eclose entre les lys
Bourdon, chuchote-t-elle,
toute la vie à votre vouloir.
Elle caresse doucement l’épaule du chevalier, sa
paume épouse la rondeur d’un muscle. Elle a envie qu’il s’éveille, elle a envie
de lui. Sans ouvrir les yeux, Bois-Bourdon replie son bras, emprisonnant son
jeune corps.
— Mon doux amour, murmure-t-il en se retournant
sur elle…
III
Montjoie Isabelle
19
Paris
La ville de Damme est tombée, pillée et moult gens
furent égorgés. La colère du roi s’étendit sur toute la région qui fut mise à
feu et à sang, l’armée se gorgea de butin mais n’approcha pas l’irréductible
ville de Gand.
Les ravages furent tels en Flandre que le duc
de Bourgogne, ému de voir son héritage s’épuiser, reçut une délégation
gantoise à Tournai afin de définir les conditions d’une paix définitive. Le
prince accorda en négociations tout ce qu’il refusait aux Flamands par les
armes : libre commerce, privilèges, obédience au pape de Rome. Les
Flamands reconnaissaient en retour la suzeraineté du comte de Flandre, duc
de Bourgogne, et renonçaient à leur alliance anglaise.
Mais les négociations traînèrent en longueur car
les Gantois refusaient de parler à genoux, cérémonial d’usage du vassal au
seigneur.
Le duc de Bourgogne finit par les en dispenser
et la paix de Flandre put être signée.
D’après Le Moyen Âge ,Jules Michelet
— Est-ce là Paris ? hurla Isabelle, le
buste complètement sorti de sa litière arrêtée, au capitaine de sa garde qui
attendait près d’elle.
Alcoboça, qui s’impatientait aussi, s’ébroua dans
un cliquetis de harnais et se mit à frapper la terre du sabot.
— Nous sommes devant la bastille
Saint-Antoine, lui répondit Bois-Bourdon en flattant sa monture. Elle défend l’entrée
de la capitale en amont de la Seine.
— C’est donc ça le palais que m’offre le roi ?
demanda-t-elle encore, effarée.
— Certes non, mais nous y serons bientôt.
Deux jours auparavant, ordre avait été donné par
courrier que la reine gagne la capitale, afin d’y attendre Charles VI à l’Hôtel
de Saint-Paul, la résidence royale.
À la Saint-Martin d’hiver, le 11 novembre 1385,
la suite d’Isabelle de Bavière avait donc quitté Beauté-sur-Marne. Partie
à tierce, elle progressait laborieusement sur les voies défoncées par les
pluies incessantes des deux derniers mois, et des chariots avaient versé dans
les effondrements boueux des bas-côtés. Novembre se révélait tout aussi
calamiteux, les rivières étaient en crue.
La jeune reine avait quitté le château de Beauté
la mort dans l’âme, et regardait à présent avec effroi la formidable forteresse
Saint-Antoine, contre laquelle venaient s’adosser les murailles à créneaux qui
ceignaient la grande ville, profilant leur blancheur à perte de vue. Un fossé, comme
le bras d’un fleuve aux eaux glauques, étales sous un ciel bas de grisaille, protégeait
l’accès des fortifications.
La Bastille, de forme barlongue, possédait deux
tours flanquantes qui en gardaient les angles. Au centre de sa façade, en
saillie, deux tours de renforcement encadraient une porte de colosse et son
attiraillage géant de herses, de treuils, d’engrenages et autres chaînages. La
forteresse se portait en avant comme une gueule camarde, élevant à plus de
soixante-dix pieds de haut son austérité blafarde, soulignée d’un simple
ressaut de mâchicoulis, couronnée de larges créneaux qui surmontaient les
terrasses des tours et des chemins de ronde.
Le pont-levis s’abaissait lentement sur ses larges
douves d’où la Bastille semblait jaillir, symbole de la puissance et de l’orgueil
royal, indestructible. Dans un ferraillement de chaînes et de poulies, elle
ouvrait sa gueule : la herse monumentale se levait, denture à longues
pointes acérées comme la mâchoire titanesque d’un animal fabuleux. Un monstre, songea
Isabelle avec détresse, un monstre sorti des pires légendes chevaleresques qui
allait l’engloutir d’un coup.
Un choc sourd ébranla tout l’appareillage. Le pont
était jeté. Au même moment, les puissantes cloches de la forteresse se mirent à
battre.
— Et que sonnent les cloches ? hurla-t-elle
à nouveau à Bois-Bourdon.
— La Bastille salue l’arrivée de sa reine !
À l’intérieur de la litière, la voix rauque d’Ozanne
l’interpella :
— Par pitié, Isabelle, ferme les courtines. Je
vais finir par attraper la fièvre.
Pour souligner
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