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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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hôtel ! souffla-t-elle.
    Grosparty fut à nouveau submergé par le désarroi. Ce
manoir était fermé depuis sept années.
    *
    — Madame, la salle aux Bourdons !
    Isabelle ne cilla pas, seul son cœur s’emballa. Et
elle se garda bien de croiser le regard du sire de Graville. Ils se
trouvaient devant une grande porte dans un corridor du troisième niveau de la
demeure, ils y avaient accédé par un large escalier d’honneur statuaire. Négligeant
les basses salles et les logis du deuxième palier, octroyés aux gardes et
officiers de l’hôtel, Grosparty les avait menés directement aux appartements
princiers du dernier étage. Des valets poussaient le lourd vantail à deux
battants de chêne massif sculpté, à pentures de feuilles d’acanthe.
    La salle aux Bourdons… Isabelle vit dans ce hasard
encore un signe de Dieu, l’approbation et la protection du Ciel dans ses amours
adultères.
    La salle était vaste et désertée, comme endormie. Les
deux imposantes cheminées en vis-à-vis étaient froides. Les hauts patins de
bois d’Isabelle claquèrent résolument sur le pavement poussiéreux, fait en
damier de pierre blanche et verte. Elle avait gardé aux pieds ces sortes de
socques, montés sur d’épais talons de bois, sur lesquels on se juchait afin de
pouvoir marcher dans la boue sans salir ses chausses et le bas de sa robe. Elle
n’avait pas souhaité les quitter à son arrivée, ils la grandissaient, et la
sonorité de ses pas lui donnait de l’assurance. Sa suite l’avait imitée et l’immensité
vide de la salle aux Bourdons résonna de sabotements qui dominaient le
bruissement des grandes houppelandes fourrées.
    Plantée au centre de la salle, Isabelle leva les
yeux et resta béate d’admiration. Le plafond à caissons était un jardin, une
délicatesse de fleurs dans un fouillis de feuillages peint à la détrempe. Violettes,
muguets, pâquerettes, lys, iris, roses et bien d’autres encore se côtoyaient
comme sous l’envol du semis d’un jardinier fou. Et frappés sur le tout, des
essaims d’abeilles d’or brûlé butinaient.
    — Comme s’appelle cette salle, dites-vous ?
demanda-t-elle encore à Grosparty, se faisant répéter à l’envi ce nom
prédestiné.
    — La grand-salle à parer [26] , madame, la salle
dite aux Bourdons.
    Immense, une couronne de lumière [27] de ce même or brûlé, à douze godets, était suspendue en plein centre. Ses
chaînes arachnéennes donnaient l’impression qu’elle flottait dans les airs avec
une légèreté incomparable. Isabelle s’avisa que la salle était sombre, faiblement
éclairée par les hautes fenêtres aux vitres peintes.
    — Allumez ! intima-t-elle.
    Aussitôt, Grosparty donna l’ordre d’aller quérir
de l’huile. Un boutefeu entreprit d’abaisser le lampier. Il décrocheta du mur
la chaîne liée à une poulie du plafond qui retenait la suspension, et lentement,
la couronne descendit. Le travail en était admirable : la rosace était
finement tressée de feuillages. Douze tourelles à images ciselées dressaient
leur dentelle aux angles curvilignes, soutenant chacune une lampe à huile. Des
petits porte-cierges ovoïdes faisaient comme un collier de perles sur le
pourtour.
    — Allumez tout ! demanda encore la reine.
Je veux toute la lumière.
    — Un cent de cierges ! hurla avec
empressement le chambellan.
    Isabelle avait hâte de voir cette merveille
illuminée. Ils furent bientôt une dizaine à s’activer autour de la couronne de
lumière, pendant que la reine allait regarder par une haute fenêtre à treillis.
Elle donnait sur la perspective d’un parc où folâtraient des chevaux, et sur
des écuries à voûtes. Elle songea à Alezane, au plaisir qu’elle aurait à la
voir, de ses appartements, jouter amoureusement avec Alcoboça.
    — Comment s’appellent ces écuries ? demanda-t-elle
au chambellan.
    — Les écuries de la reine Jeanne, madame.
    — Et cet hôtel ?
    — L’hôtel de la Pissotte, madame, celui de la
reine Jeanne.
    — Il sera le mien.
    La poulie grinçait. Elle se retourna et resta
éblouie. La couronne de lumière remontait lentement, embrasée de tous ses feux.
Le plafond s’illuminait peu à peu, le jardin fou s’animait à la multitude des
petites flammes vacillantes. Les couleurs s’avivaient, devenaient éclatantes ;
fleurs et rameaux se mirent à frémir aux flammèches tremblotantes, comme agacés
par un vent de printemps ; les ors de milliers d’ailes se mirent

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