Eclose entre les lys
l’urgence de son état, elle entama
une série d’éternuements pitoyables. La dame d’honneur traînait depuis la
veille une mine chiffonnée, des yeux larmoyants et un nez rougi coulant comme
une fontaine. Isabelle rabattit les rideaux de cuir doublé de velours et se
rencogna dans ses coussins avec un sentiment d’angoisse exacerbée. Des
murailles, encore des murailles… allait-on la condamner à vivre derrière ces
hauts murs qui allaient se refermer sur elle, comme les portes d’une prison ?
Ozanne s’épongeait le nez avec de l’étoupe. Catherine
restait silencieuse : depuis son malheur, elle était comme un coquillage
déserté, vidé de sa chair savoureuse, égarée avec les fantômes d’Adémard et de
son enfant perdu. La reine soupira, il n’y avait nul réconfort à attendre de
ses deux compagnes, et tout se prêtait à cette maussaderie, comme ce ciel bas, plombé,
qui crachotait une neige mouillée giflée par un vent glacial.
Le sire de Graville était dans ses jours
sombres depuis que l’estafette, annonçant le retour de Charles VI pour le
premier dimanche de l’avent, le 28 novembre, jour de son anniversaire, ordonnait
également à la reine de s’installer en sa plaisance au palais royal de
Saint-Paul.
En sa plaisance ! Comment pouvait-elle se
plaire à se sentir à nouveau précipitée dans l’inconnu, arrachée à ses amours
de Beauté, à sa liberté, aux grands espaces. Et pour ajouter à sa détresse, elle
ne cessait de se quereller avec Bois-Bourdon, qui voulait, une fois à Paris, lui
imposer un maître cacochyme, un certain Philippe de Mézières, ancien précepteur
du roi lorsqu’il était Dauphin. Le capitaine se disait inapte à poursuivre l’édification
de la reine, et elle s’entêtait dans un refus opiniâtre : elle ne voulait
ni ne pouvait se priver des longues heures d’intimité studieuse qu’elle passait
avec son amant.
La litière de la reine, encornée de plumets, surmontée
de flammes aux fleurs de lys et aux fuselés de Bavière, avait passé la
Bastille, et était entrée dans Paris. Isabelle détestait d’avance cette ville
que l’on dit si tumultueuse, la ville aux cent clochers. Elle détestait le roi,
elle détestait même Bois-Bourdon et ses humeurs noires.
Le cortège remonta la rue Saint-Antoine, tourna à
senestre dans une ruelle à encorbellements qui y mangeaient toute la lumière, et
s’immobilisa. En avant, se percevait une agitation désordonnée, une clameur de
protestations, dominées par de hauts cris : « Place ! Place !
Faites place à la reine ! » Exaspérée, Isabelle se jeta à nouveau
hors des courtines.
— Que se passe-t-il encore, n’arriverons-nous
jamais ? lança-t-elle en direction du sire de Graville.
— Nous y sommes, mais les gardes font rentrer
les gens chez eux et fermer les vantaux des étals. La rue de la Pute-y-Muse [23] est si étroite que votre voiture n’y passerait pas.
— La rue de la Pute-y-Muse ? s’effara-t-elle.
— La pute n’y muse plus, lui sourit-il. L’Hôtel
royal ne saurait supporter une proximité si déshonnête, les filles folieuses
ont été chassées depuis longtemps. Mais la présence de la Cour a fait fleurir
bon nombre d’échoppes de frivolités.
De ces explications, Isabelle ne retint que le
sourire de son amant. Enfin ! il lui avait souri.
Les nuées se déchirèrent à cet instant, laissant
darder par un accroc de ciel bleu un rayon de soleil inattendu qui la frappa en
plein cœur. Elle voulut y voir un signe divin, le temps se débarrassait de ses
oripeaux de grisailles pour l’accueillir, le crachin glacial avait cessé de
tomber. Elle se sentit soudain l’âme plus légère.
La rue dégagée, Bois-Bourdon pressa les flancs de
sa monture pour reprendre la tête du cortège. La lourde voiture s’ébranla et
descendit la voie exiguë. Arrivé en vue de la Seine, le cortège tourna à dextre
sur le quai de l’Arsenal. Il longea sur la droite un mur d’enceinte jusqu’à un
imposant portail, bardé de fer forgé, qui s’ouvrit immédiatement, et la litière
s’engouffra dans l’univers protégé et raffiné de l’hôtel royal de Saint-Paul.
En descendant de sa voiture, Isabelle resta bouche
bée.
— Où est le château ? demanda-t-elle, en
apercevant un gros bourg aux maisons cossues dans de vastes espaces arborés.
Angésine de Grosparty, premier grand chambellan de
l’hôtel, qui l’attendait avec componction entouré
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