Eclose entre les lys
à vibrer,
les bourdons, réchauffés d’éclats de soleil, semblaient sur le point de s’envoler.
Isabelle en étouffa d’émotion.
L’hôtel de la Pissotte, abandonné depuis sept ans
à la mort de la reine Jeanne de Bourbon, sortit de son endormissement sous
l’agitation grouillante des valets qui s’activèrent à le réveiller. Ils
allumèrent les vastes cheminées et les porte-flambeaux, époussetèrent les
sculptures, lessivèrent les murs et les dallages, dressèrent les tentures. D’autres
déchargeaient les chariots, et se relayaient à monter les coffres et les
garnements, les bahuts, les faudesteuils, les bancs, les lits et tout l’ameublement
apporté de Beauté-sur-Marne. Et c’est dans cette effervescence que les
trompettes sonnèrent quelque part dans l’hôtel de Saint-Paul, avertissant que
des visiteurs y faisaient leur entrée.
Monseigneur Louis de France, duc d’Orléans venait d’arriver
de façon tout à fait inopinée. Par la même voix du héraut venu l’annoncer, Isabelle
apprit que son jeune beau-frère sollicitait l’honneur de souper chez la reine, avec
le sire de Craon, son hôte.
*
Dans le petit retrait de la reine apprêté pour un
souper intime, Louis surgit et se jeta aux pieds d’Isabelle.
— Madame ! s’exclama-t-il en embrassant
le bas de sa robe.
Isabelle éclata de rire.
— Relève-toi donc, gentil frère, et
embrasse-moi plutôt comme ta sœur.
Orléans se releva, la prit avec transport dans ses
bras et la fit tournoyer.
— Isabelle ! Dieu du ciel, que j’ai de
plaisir à te retrouver si jolie.
Elle riait de plus belle. La chambre prit le
tournis.
— Tu es à ravir, et que ne suis-je ton
ravisseur, ajouta-t-il en la déposant sur le sol.
— Je vous l’interdis bien, seigneur mon
prince. Et que faites-vous de votre fiancée ? s’offusqua-t-elle, légèrement
vacillante.
— Plus de fiancée, plus de Marie de Hongrie. Envolée !
lui répondit-il avec désinvolture.
— Et me diras-tu le mystère de ce démariage ?
— Il se trouve que j’aime ailleurs…
— Vraiment ? s’excita-t-elle. Et la
connaît-on ?
— Il se pourrait, madame la reine, répondit-il,
en prenant des airs mystérieux.
— Que ne me le contes-tu céans ! dit-elle,
en tapant du pied.
— Que nenni, s’obstina-t-il. Et que penses-tu
de la mode de Venise ? ajouta-t-il en exécutant soudain un enchaînement de
petits pas sautés à la manière d’un bouffon.
Il sembla qu’au même moment, un invisible musicien
rythmait sa danse en agitant des clochettes cristallines. Il portait des
poulaines de soie, dont la pointe s’allongeait fort exagérément en corne
dressée, munie à son extrémité d’un grelot d’argent.
— Cesse donc, tu sonnes comme grenaille, dit-elle
en riant.
Louis d’Orléans avait changé. Il semblait plus
fort, mais il avait gagné en légèreté, de celle qu’affectent complaisamment les
hommes conscients de leur haute naissance. Ses cheveux étaient plus courts et
moussaient tout autour de son visage. Il était coiffé d’un petit feutre à plume
posé crânement sur le côté de sa tête. Son pourpoint, élargi d’épaulettes, lui
étranglait la taille et retombait en jupe à gros plis presque à ras des fesses
alors que l’usage les voulait aux genoux.
— Te voilà bien court vêtu. As-tu si
grandement poussé que tes atours ne sont plus à ta mesure ? demanda-t-elle,
taquine.
— Je te trouve aussi grandie, belle-sœur. À
moins que ce ne soient ces patins de bois que tu portes sous tes chausses ?
— Cela me plaît, je m’y sens plus assurée à
voir de plus haut. Je vais en commander au chaussetier de l’hôtel : des
sculptés, fourrés, incrustés de nacre et pierreries, et même des patins de
chambre rembourrés d’étoffes brodées. Qu’en dis-tu ?
— Je dis qu’à voir la reine d’en bas, toutes
les dames de la Cour seront bientôt juchées.
— Et toi, à t’entendre tinter, tous les preux
iront encornés de pieds et plus clochetés que le harnais de leurs chevaux.
Ils éclatèrent de rire. Isabelle était tout au
bonheur de ces retrouvailles.
— Monseigneur de Sablé, sire de Craon !
annonça alors un chambellan, et le sénéchal du Berry, sire de Graville et de Bois-Bourdon !
Louis d’Orléans se précipita aussitôt vers les
arrivants et prit familièrement par le coude le nouveau venu, un seigneur d’une
rare somptuosité.
— Venez, mon ami, venez saluer la
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