Eclose entre les lys
les plus grands
seigneurs de ce temps : Louis de Maele, comte de Flandre ; Charles
le Mauvais, roi de Navarre ; et le seigneur de Montaigu, cardinal
de Laon !
En énonçant les noms, il les martelait d’une voix
métallique, comme autant de coups d’épée plongeant dans la même plaie. Il se
tourna vers Isabelle et vit qu’elle tremblait. Son propre martyre, toujours
intact, la frappait de plein fouet. Sa douleur s’unissait à la sienne, l’enflait
jusqu’à étouffement.
— Messire, taisez-vous, par grâce.
— J’ai tué le comte de Flandre sur ordre…
— Taisez-vous ! Il est des choses que je
ne dois pas savoir.
— Je l’ai contemplé, agonisant, tandis que je
lui servais ma propre agonie, que je lui rappelais pour quel crime et de quelle
main il mourait.
— N’allez pas plus avant. Je vous en supplie.
— Je tuerai les autres quand les temps seront
venus. Je tuerai le roi même, si vous le demandez !
— Non, il est sacré, il est l’oint du
Seigneur ! implora-t-elle en se jetant contre lui.
Il referma ses bras, et posa sa joue sur les
cheveux d’Isabelle. Il se mit à bercer leur souffrance. Ils n’étaient plus que
deux enfants meurtris cherchant consolation de leur blessure commune.
Isabelle sentit à nouveau ce feu étrange et
délicieux envahir tout son corps. Elle ne savait pas que c’était celui de l’amour.
16
Le camp de Damme
L’amiral Jean de Vienne et six vaisseaux de la
grande flotte française ont abordé au principal port de l’Écosse qu’on dit Édimbourg.
Ils découvrirent un pays stérile, des forêts et montagnes où ne se trouvent que
bêtes et hommes sauvages.
Le roi d’Écosse à qui Jean de Vienne venait
porter secours contre l’Anglais, se fit longtemps prier par l’amiral pour
adjoindre aux Français trois mille Écossais.
Ils entrèrent ainsi en Angleterre sur soixante milles
dans l’intérieur où ils mirent tout à feu et à sang, commettant les excès auxquels
on se livre d’ennemi à ennemi, en sorte qu’on pouvait dire d’eux : ils ont
tué la veuve et l’étranger, ils ont égorgé l’orphelin, le jeune homme avec la
jeune fille, l’enfant à la mamelle avec le vieillard.
D’après la Chronique du religieux de Saint-Denys
Votre très noble frère Louis est parti en grand
équipage prendre possession de son royaume de Hongrie et de la princesse Marie.
Il s’est laissé instruire par le sire d’Arany sur le caractère sacré de la
couronne de saint Étienne, qu’il a reçue du pape Sylvestre II le jour de
Noël de l’an mil. Votre bien-aimé frère est parti fort réjoui d’aller ceindre
si mystique couronne, adorée comme sainte relique, sans laquelle nul ne
peut se dire roi de Hongrie…
— Elle m’ignore ! interrompit violemment
le roi.
Le duc de Bourgogne leva les yeux de la
longue lettre envoyée par son épouse Marguerite de Flandre, informant le
roi des affaires de France. Charles VI portait armure de grand harnois ;
il était tête nue, secouant ses cheveux blonds comme une crinière. Il était
très agité et ne dissimulait pas sa vive contrariété. Le courrier de France, apporté
par des chevaucheurs de Beauté-sur-Marne, était arrivé au camp de l’armée
royale qui faisait le siège de Damme depuis près de trois mois. Parmi les
nombreuses lettres, il ne s’y était pas trouvé de missive personnelle de la
reine pour le roi ; il n’y en avait jamais eu.
— Elle m’ignore ! répéta-t-il.
— Non pas, répondit Philippe le Hardi
avec patience, voulez-vous que je vous relise celle où madame Isabelle vous
fait envoyer ses amitiés ?
— Ne m’en faites pas accroire. Le secrétaire
de ma belle tante l’aura ajouté sous sa dictée. Elle m’ignore, vous dis-je !
Charles aimait Isabelle comme au premier jour. Il
n’avait aucune souvenance qu’il l’eût possédée, ni violentée. Comment
pouvait-il imaginer une telle laideur ? Le roi ne voyait en la reine que
beauté, fragilité ; elle ne lui inspirait que le désir le plus doux. Il
fallait, pour avoir osé la brutaliser, que le Diable se soit mis de la partie, et
le Diable, c’était le roi de Navarre et ses poisons. Ce maudit Charles le Mauvais
le payerait de sa vie. Il avait fait déjà parvenir moult lettres à la reine, pleines
de tendresse, de remords, d’excuses et de larmes. Chaque courrier était pour
lui attente et espoir de pardon.
Trompes et clameurs venant du camp éclatèrent
soudain,
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