Eclose entre les lys
l’acte de
succession.
Il y eut un silence qui finit par inquiéter
Philippe le Hardi, tant son interlocuteur virait au violet, le souffle
coupé.
— Elle a osé ? cracha enfin Guillaume
entre ses dents serrées de fureur.
Le duc de Bourgogne laissa tomber le masque.
— Elle a osé ! confirma-t-il avec un
ironique mépris. Avez-vous sérieusement cru que les cuisses de la duchesse vous
ouvraient aussi un droit sur le Brabant ?
— Vous m’en rendrez compte, Bourgogne !
Sur cette menace, Gueldre tourna les talons et
sortit de la tente royale, laissant Philippe le Hardi gloussant
silencieusement dans le vaste col fourré de sa houppelande.
Il avait tort de rire. Il avait oublié qu’il est
toujours dangereux d’humilier un chevalier, surtout ce petit duc affligé d’une
si grande vanité.
*
Le roi, entouré et protégé de sa garde, se tenait
près d’une baliste que manœuvraient quatre servants et des piétons. Le
connétable Olivier de Clisson rythmait l’attaque à grands coups de
gueuloir de cuivre, repris en écho par les aboiements des capitaines qui
cavalcadaient d’une truie à l’autre. D’où ils étaient, ils pouvaient voir les
balistes en enfilade. Elles étaient enchaînées à d’énormes pieux profondément
enfoncés dans le sol afin qu’elles ne s’arrachent pas sous la violence des
lancers. Les servants étaient en train de manœuvrer les treuils qui abaissaient
les verges qu’ils bloquèrent à l’aide d’un fort crochet. Puis ils vissèrent, tendirent
à outrance les arcs faits de nerfs et de cordes. Les piétons apportaient la
pierraille dont ils chargeaient les énormes cuillers de bois.
De nouveaux grands coups de gueule et les sonneurs
embouchèrent leur trompe. La sonnerie éclata, annonçant le lâcher. On décrocha
les verges presque simultanément. Elles se rabattirent avec une vitesse inouïe,
butant violemment sur la traverse-obstacle dans une série de chocs sourds et
formidables. Projetés avec puissance, les blocs de pierre s’envolèrent en un
rugissement terrifiant, dans un souffle d’enfer.
Au moment de la sonnerie des trompes, les créneaux
de la ville s’étaient noircis des archers ennemis qui lâchèrent leurs carreaux
tous ensemble, pour tout aussitôt disparaître. Le vrombissement des pierres
empêcha la plupart des assiégeants d’entendre les sifflements qui prévenaient
du danger mortel.
L’air soudain se zébra.
Alors que Damme retentissait du fracas du
bombardement, dans le camp, une immense clameur accueillit la bordée de flèches.
D’un même geste, les gardes du roi avaient levé haut le bras, se faisant un
rempart de leurs écus. Tout à côté, l’un des manœuvriers de la truie s’écroula,
un carreau en pleine poitrine. Un garde royal poussa une sorte de grognement. Il
lâcha les rênes et porta ses gantelets à sa gorge. Puis il tomba lourdement de
son cheval qui hennit de frayeur et prit le galop à travers le camp, selle
vidée. Le chevalier râlait en se tordant sur le sol, mêlant ses gémissements
aux cris des autres blessés. Il avait un trait planté entre heaume et colletin.
À la longue manche bleu de ciel, écharpe donnée par Catherine de Fastatavin
qu’il portait toujours au bras en signe d’amour, chacun sut qu’il s’agissait du
chevalier de Courtemay.
Le roi poussa un cri affreux.
*
Adémard de Courtemay gisait dans le propre lit
du roi, où Charles VI avait voulu qu’il soit porté. Depuis trois jours et
deux nuits, il y râlait, séparé du reste du logis royal par de riches tentures
armoriées et tapisseries précieuses, qui divisaient l’immense pavillon en
appartements tendus de soie d’azur fleurdelisée.
Charles n’avait pas quitté le chevet d’Adémard, pleurant
et suppliant que l’on sauve le noble chevalier dont il avait appris le
sacrifice. Tout à la marche des truies, le roi n’avait pas vu venir les traits
ennemis. Courtemay s’était laissé lui-même à découvert pour le protéger de son
écu.
Le jeune souverain ne supportait pas qu’on le
quitte, ne supportait pas que la mort lui prenne les êtres qui lui étaient
chers. Il avait perdu sa mère à l’âge de dix ans. Il en gardait le souvenir du
gémissement des pleureuses, de l’odeur des cierges et de l’encens, du vide
terrifiant que suscitait cette forme immobile au visage de cire de madone, d’une
indifférence froide, insoutenable. Ses deux petites sœurs, Marie et Isabelle, si
vives et si jolies,
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