Elora

transformé quelques jours plus tôt en geôlier. Il ne pouvait plus rien pour elle. Et moins encore pour lui.
    — Ramène-le en cellule, ordonna Alexandre VI à son fils.
    Khalil osa un dernier regard vers elle. Elora lui sourit. C’était la seule marque d’affection et de confiance qu’elle pouvait lui accorder pour l’instant. Elle attendit qu’il disparaisse, pour ramener vers le pape un œil narquois.
    — Tu joues un jeu dangereux, Ta Sainteté. Ne t’avais-je pas conseillé de ne pas me provoquer ?
    Alexandre VI haussa les épaules.
    — Nombreux sont ceux qui l’ont fait avant toi, ma belle, il n’en reste pas un, hélas, pour témoigner de leur stupidité. Mais laissons là ces enfantillages. Ange gardien ou suppôt de Satan, peu m’importe qui tu es en réalité. Je t’ai donné ce que tu voulais et le peux encore, si j’en juge par l’attention toute particulière dont tu couvres ce garnement.
    — Qu’a-t-il fait pour mériter pareil traitement ?
    — M’enlever…
    Elora éclata de rire.
    — Il ne manque pas d’audace…
    — Mais de jugement certainement, puisqu’il voulait m’échanger contre… ta liberté.
    Le rire d’Elora se brisa dans sa gorge. « Pauvre fol », songea-t-elle avant de soupirer :
    — Il eût été mieux inspiré de t’assassiner, cela aurait évité du travail à ton fils dans quelques années.
    Alexandre VI sentit une onde glaciale lui descendre l’échine. Ses yeux se rétrécirent sous l’effet d’un doute viscéral. Consciente d’avoir repris l’avantage, Elora le nargua :
    — Te croyais-tu immortel, Rodrigo ? Le dix-huit août de l’an de grâce 1503, à l’heure des vêpres très exactement, tu mourras du poison que César aura fabriqué pour toi.
    Alexandre VI chassa l’augure d’un fier redressement du menton.
    — Tel père, tel fils. Je n’en attends pas moins d’un Borgia et, puisque ta prédiction me garantit d’avoir encore quelques années devant moi, restons-en à nos affaires, veux-tu ? Le bohémien prétend tes pouvoirs sans limites. Compte tenu de la facilité avec laquelle nous t’avons capturée, j’ai un doute, mais je ne peux renier ce que tu m’as imposé. Aussi, je te propose un marché. Sa vie et celle du joli valet de Djem contre ton aide pour repousser les Français.
    Elora sursauta en découvrant César Borgia, discrètement en retrait sous le passage. Visiblement il avait désobéi à son père, confiant Khalil à un autre. Malgré le clair-obscur, ses traits exprimaient à quel point ce qu’il venait d’entendre le réjouissait. Plus dangereux et sournois que le père, il ne tarderait pas à s’approprier la vérité concernant Hélène. Lors, ce qu’Elora avait vu en songe deviendrait réalité.
    Était-il trop tard pour le changer ?
    Elle reporta son attention sur le pape.
    — Non.
    — Tu n’as pas les moyens de refuser. Privée de gestuelle, ta magie est sans effet.
    Un nouveau rire ébranla la voûte.
    — Qui donc t’a donné à croire pareille absurdité ? Ton Christ crucifié ? Ou les mages auprès desquels, trompant tes proches, tu vas chercher conseil ? Je vais te faire une confidence, Ta Sainteté. Ils sont mauvais…
    — Cela suffit ! s’imposa César en entrant dans la lumière.
    Sans un regard pour son père, agacé de son retour, il marcha droit sur elle, s’arrêta contre son souffle, et lui pétrit sans ménagement les seins.
    — C’est dans ta beauté seule que résident tes charmes et, comme mon père, j’y suis sensible. Extrêmement sensible. Cette nuit tu seras nôtre dans une bacchanale qui t’aliénera à notre cause, crois-moi, bien mieux que ces piètres menaces. Encore que je ne voie pas très bien ce qu’en dehors du plaisir, tu pourrais nous apporter…
    Il chercha sa bouche, l’embrassa à pleine goulée, sans trouver de résistance. S’en rengorgea d’assurance. La meilleure solution ? se demandait Elora, profitant de ce temps de réflexion inespéré. Quelle était la meilleure solution pour protéger les siens ? Se soumettre ? Ou leur donner à voir l’étendue de ses pouvoirs ? Elle n’avait pas le don d’ubiquité. Il faudrait qu’elle choisisse. Sauver sa mère adoptive ou Khalil s’ils s’avisaient d’agir contre eux simultanément. Sans parler d’Aymar et de Jacques. Le pape avait reculé, les mains croisées sur la poitrine, repris par cet effroi qu’elle avait lu dans ses yeux lorsqu’elle l’avait tourmenté