Elora
croisa le saluèrent avec respect et il releva la tête pour bien leur signifier qu’il ne tolérerait aucun mot sur le sujet. Devant les escaliers qui menaient aux cachots, il dut s’appuyer d’une main à la pierre, laisser passer un vertige avant de les descendre d’un pas affermi par sa seule volonté.
Deux gardes veillaient cette clientèle de mauvais sujets, agglutinés tels des animaux dans des cages aux grilles épaisses. Ils en étaient encore aux retrouvailles, femmes et enfants d’un côté du couloir, maris de l’autre, à tendre à travers les barreaux des mains éperdues. Elles retombèrent à sa vue. Le brouhaha aussi.
Sans la moindre indulgence, il fouilla les cellules d’un regard impitoyable avant de l’abattre sur un des soldats en faction.
— Par famille, dans mon bureau et dans cinq minutes. Les meneurs en premier, ordonna-t-il, le front perlé d’une sueur maladive.
Il fit demi-tour et remonta les degrés sans fléchir, rageur d’en être réduit à si piètre exhibition quand il avait tant de comptes à régler.
*
Le premier mot de Fanette à Celma fut « merci ». Pour avoir sauvé son fils, mais aussi et surtout pour avoir, contre son désir de vengeance, soigné ses plaies. Puis, en réponse à la noirceur du regard qui continuait de la juger, elle tenta de faire amende honorable :
— Je ne suis pas fière de ce que j’ai fait.
— Il n’eût plus manqué que ça, en effet !
Leur échange en resta là. Elles n’avaient plus rien à se dire. Fanette comprenait que rien ne rachèterait ses actes, sinon peut-être la mort. Celma, elle, restait convaincue que les mauvaises gens ne changent jamais. Fanette fit profil bas, accepta les onguents sur ses plaies et brûlures peu à peu cicatrisées, et resta dans son coin, ne s’accordant à rire qu’avec son fils, heureux de jour en jour davantage de la découvrir différente, plus maternelle et attentionnée.
Aussi rancunière que sa mère, Bertille, inquiète pour Petit Pierre, ne s’approcha pas, préférant la compagnie de Constantin avec lequel elle avait noué une parfaite amitié. Pour cause, c’était la première fois de sa vie que le garçonnet velu pouvait échanger avec quelqu’un de son âge.
Ce jour du dix-huit décembre 1494, profitant que tous avaient gagné la surface par le souterrain qui ressortait dans la forêt, Fanette quitta la pénombre de son isolement et vint s’asseoir au bord du lac.
En voulant suivre les évolutions d’Algonde qui y nageait mollement, elle aperçut son reflet dans l’onde, troublée de remous légers. Aussitôt des larmes amères lui montèrent aux yeux. Elle n’avait plus de cheveux, de cils, de sourcils que sur un côté du visage. À l’endroit où Luirieux avait écrasé la chandelle sur sa joue, une croûte noire et épaisse s’était formée, répondant aux sillons larges et sombres des flammes qui zébraient ses traits.
Elle n’avait jamais été jolie, mais là, elle était horrible à regarder. Se demandant comment son fils pouvait s’en accommoder avec autant de sérénité, elle battit l’eau d’une main décidée pour effacer l’image.
— Toutes les cicatrices s’atténuent, Fanette.
Elle sourit tristement à Algonde qui s’était approchée.
— Je pensais que tu regrettais déjà de m’avoir sauvée.
— Qu’est-ce qui te l’a laissé croire ?
— Ta réserve depuis que j’ai repris connaissance.
Algonde se hissa sur ses bras et vint s’installer près d’elle, désignant du menton sa longue queue d’écailles.
— Je ne peux aller bien loin sur la terre ferme. L’eau me retient. Sinon, tu penses bien que j’aurais cessé depuis longtemps de m’y frigorifier.
— Pardon, s’excusa Fanette, rattrapée par l’évidence.
Algonde haussa les épaules.
— Je suis seule responsable de mon état, comme tu es seule responsable du tien.
— Nos motivations étaient loin d’être les mêmes…
Algonde ne releva pas. Elle s’arqua sous la lumière qui tombait d’un fin carré de ciel bleu, la fit jouer sur les contours réguliers de son visage. Pas une ride, pas un pli, songea Fanette en s’émerveillant du grain de sa peau. S’il n’avait été aussi pâle et un rien verdâtre, il eût été parfait. Algonde n’avait pas changé. Elle était telle qu’en son souvenir. Telle qu’en ce jour de juin 1484 où sa vie avait basculé, où Mathieu était rentré au castel de Sassenage. Fanette attendait son
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