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Elora

Elora

Titel: Elora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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lieutenant :
    — Détachez-le.
    La surprise s’afficha sur les traits du garçonnet.
    « Quel âge pouvait-il avoir ? » s’inquiéta Luirieux. Douze ans ? Treize à en juger par sa taille ? Si c’était le cas, il serait pendu avec les autres. Seuls les plus jeunes seraient épargnés, non qu’il éprouvât pour eux la moindre clémence, mais parce qu’il connaissait les manies du juge à imaginer qu’on pouvait racheter ces vauriens. Enfin, il aurait tort de s’en plaindre puisqu’il les vendrait un bon prix en retour, les garçons aux commerçants qui les épuiseraient en besogne, les filles à quelques bourgeois avides de chair fraîche.
    Le prisonnier gratta ses poignets qui suintaient de vermine, entaillés méchamment par la corde. Un avant-goût du gibet, s’amusaient à leur répéter les soldats, riant de les sentir frémir dans leur cage. Hugues de Luirieux congédia ses hommes et désigna un tabouret contre un mur.
    — Assieds-toi.
    Petit Pierre ne bougea pas. Luirieux s’adossa à la tranche de bois du bureau et lui fit face, adouci.
    — Ce n’est pas un ordre, mais un conseil. Tu es blanc comme un linge.
    L’enfant redressa la tête.
    — J’suis pas un pesneux.
    — Personne ne le conteste. Assieds-toi, petit.
    Troublé par le ton bienveillant quand il n’avait jusque-là connu que la brutalité des soldats, Petit Pierre oscilla d’un pied sur l’autre, indécis, avant de céder à la fatigue.
    « Le premier pas vers la soumission », se félicita Luirieux. Il attrapa la bouteille de vin qui trônait à quelques pouces de sa hanche, en versa une rasade dans un gobelet et le lui apporta.
    — Avale lentement ou tu seras plus saoul que ragaillardi.
    Pendant que l’enfant suivait le conseil, il saisit un deuxième tabouret et s’y installa.
    — Tu as quel âge mon garçon ?
    — Neuf ans. Bientôt dix.
    — Tu es sûr ? Tu es plutôt grand…
    — Je sais. C’est comme ça.
    Luirieux hocha la tête. Ne rien brusquer. Même s’il serait difficile de le faire croire au juge. Un œil à ses mains. Elles étaient abîmées par les engelures. Les crevasses ne s’étaient pas arrangées dans le froid et l’humidité du cachot.
    — Tu as attrapé ça comment ?
    Un regard en biais sur ses plaies désignées d’un doigt bagué. À force de souffrir, Petit Pierre s’était habitué. Il lui rendit le gobelet d’étain, vide.
    — Comme les autres. En marchant dans la neige pour aller au-devant du convoi.
    — Tu étais donc de l’attaque…
    — Non, plaida l’enfant. Mon père a pas voulu. J’étais caché pas loin quand le soldat m’a cogné dessus.
    « Mon père n’a pas voulu »… Hugues de Luirieux sentit remonter l’excitation en lui. Qui d’autre qu’un chef serait décisionnaire ?
    « En douceur, se raisonna-t-il. Si ce garnement se sent piégé, il fera volte-face. »
    — Il a eu raison. Ce n’était pas ta place.
    — J’suis pas un pesneux, répéta l’enfant.
    — Il ne s’agit pas de courage, juste de bon sens. À la place de ton père, j’aurais agi de même. Mieux, je t’aurais laissé au camp avec ta mère.
    De nouveau cette haine dans les yeux.
    — Sauf que vous êtes pas mon père. Et que ma mère…
    Il détourna la tête et cracha au loin, sur le sol. Loin de s’en offusquer, Luirieux jubila en silence. Si cet enfant n’était pas celui de Fanette, il voulait bien être châtré du morceau qui lui restait. Il lui sourit avec bienveillance.
    — Tu crois qu’elle vous a trahis, n’est-ce pas ?
    Petit Pierre ne répondit pas, mais son regard était éloquent. Luirieux hocha la tête.
    — Tu as raison. Mais je l’ai punie en retour.
    Une lueur dans ce regard sombre.
    — Elle est morte ?
    — Fanette s’est noyée dans le lac souterrain en voulant nous échapper.
    La bouche se tordit, les sourcils se froncèrent.
    — Le lac de Mélusine ?
    Luirieux tiqua. Que venait faire là cette vieille légende ? Il acquiesça, machinalement, se félicita d’un sourire qui détendit le visage de l’enfant, le rajeunissant instantanément.
    — Alors oui, elle est bien morte, et c’est tant mieux, parce que Mélusine est la créature la plus effrayante qui soit. Et pourtant, j’suis…
    — … pas un pesneux. Je sais, petit. Je sais…
    Luirieux éclata de rire. Sans savoir que son geôlier tenait en lui sa revanche, Petit Pierre le suivit dans sa soudaine hilarité. Juste un éclat, salutaire, pour apaiser

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