Elora
fois que la voix explosait en éclats dans la grande salle, elle se demandait quel timbre avait celui de son petit Constantin, ce qui le déclenchait et pourquoi. Elle attendait désespérément le moment où elle pourrait enfin voir son fils par les yeux d’Elora. Cette dernière l’avait convaincue d’être patiente, cet exercice de magie la rendant vulnérable le temps qu’il durait. Et pour l’heure, elle devait encore se tenir sur ses gardes. Djem avait approuvé. Hélène avait cédé.
— Je peux te confier un secret ?
Hélène tressaillit de plaisir. L’enfant venait de la rejoindre dans la chambre de Djem où elle garnissait de bougies les chandeliers. Ils en consommaient de nouveau beaucoup, à la nuit tombée, depuis que Nassouh avait, avec une simple pâte d’amandes, bouché l’œil indiscret du cheval dans le mur.
Elle était seule avec l’enfant, les autres serviteurs du prince ayant profité que Djem, Nassouh et Sinan Bey aient accompagné Aymar de Grolée et Jacques de Sassenage aux thermes pour s’alanguir de fainéantise dans leurs propres quartiers. Khalil qui n’aimait les bains qu’avec modération avait préféré attendre la visite d’Elora.
Hélène piqua la dernière chandelle et se tourna vers lui, un sourire heureux aux lèvres.
— Ta confiance m’honore. Je t’écoute.
Khalil grimpa sur la couche, chercha l’appui d’un oreiller pour caler sa nuque, avant de le rejeter et d’y replier ses mains.
— Dame Hélène ne s’appelle pas dame Hélène.
— Ah ! non ?
— Non. Et tu sais pourquoi ?
Elle s’assit sur le lit à ses côtés et secoua négativement la tête devant son air comploteur.
— Parce que c’est toi, pardi !
Face à la surprise qui altéra les traits d’Hélène, il partit d’un nouveau rire. Elle s’apprêtait à démentir lorsque, bondissant comme un cabri, il se jeta à son cou et lui arracha son turban avec autant d’agilité que l’aurait fait Bouba. Les cheveux coupés de la damoiselle démasquée cascadèrent sur sa nuque, laissant apparaître aux racines leur couleur naturelle. Déjà, fier de son trophée, il paradait dans la pièce. Elle se fâcha.
— Rends-moi ça, chenapan ! Ce ne sont pas des manières.
Il le mit sur son crâne et piqua ses poings sur ses hanches.
— Tu es trop sérieuse, dame Hélène.
— Je ne suis pas dame Hélène.
Il haussa les épaules devant son air buté.
— Si, tu l’es. Tu dors avec le prince et tu pisses accroupie… comme les filles.
— Mais comment… s’empourpra-t-elle, comprenant trop tard son aveu.
Khalil vola un abricot sec dans une coupelle avant de lui adresser un clin d’œil complice.
— Les bohémiens ont les yeux partout, surtout là où il ne faut pas. Mais rassure-toi, personne ne le saura. Enfin personne qui ne soit de cette maisonnée, parce que les autres serviteurs l’ont remarqué et aussi les femmes dans le harem.
Hélène frissonna. Si les puissants n’y avaient vu que du feu, comment tromper la valetaille ? Même en masquant ses manières, son éducation et sa grâce naturelle n’étaient pas celles d’un serviteur. Quant aux épouses légitimes de Djem, il n’en avait honoré aucune depuis qu’elle était là…
Elle leva les paumes vers le plafond dans un geste d’impuissance.
— C’est bon. D’accord. Je suis dame Hélène. Tu es content ?
Le sourire de Khalil lui remonta la bouche jusqu’aux oreilles.
— Très !
Il revint vers elle, sauta sur ses genoux comme au cul d’un cheval, lui arrachant un « oh » de surprise, et entreprit de renouer à son front le turban qui avait perdu de sa superbe. Hélène ne résista plus. Découverte, elle n’en avait plus de raison. Elle bascula sur la couche, emportant le garçonnet, et résolut de se venger par des chatouilles. C’était sans compter sur la vivacité du bohémien. Il se dégagea telle une anguille, le rire à fleur de peau. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous deux échevelés par la plus délirante des batailles de polochons que la damoiselle de Sassenage avait pu connaître. Des plumes volaient autour d’eux, Hélène retournée en enfance et Khalil ramené à la sienne.
Épuisés, ils se laissèrent finalement tomber côte à côte sur le tapis d’Orient, le dos calé contre le bois du lit. Leur hilarité s’apaisa peu à peu. Puis Khalil abandonna sa tête sur l’épaule d’Hélène et, instinctivement, elle chercha sous ses doigts les
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