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Elora

Elora

Titel: Elora Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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parole bafouée auprès des habitants qu’il sentait prêt à se retourner contre la France, Charles VIII venait en outre d’ordonner que tous les objets volés fussent restitués.
    Alexandre VI eût dû s’en réjouir. Il n’y parvenait pas. Julie Farnèse, sa Julie tant aimée ne reviendrait jamais.
    *
    Prise par l’émotion qui se dégageait des guitares et des voix, subjuguée par les danses sensuelles des bohémiennes qui tournoyaient autour du feu géant, Julie avait déjà oublié son amant et Rome. La liberté de ces gens, leurs manières chaleureuses, la tendresse dont les mères couvraient les enfants sans peser sur leurs jeux, la dignité des hommes jusqu’au front haut et au regard fier qui donnaient à la simplicité de l’accueil des manières princières, avaient en quelques minutes eu raison de sa méfiance. Elle était sous le charme. Adossée au moyeu d’une roue, elle donnait le sein à sa fille. Là où, à Rome, le moindre valet se serait léché les babines à semblable scène, ici, au milieu du campement que cernaient les roulottes, le geste, naturel, n’attirait pas un regard. Du coup, Julie en avait presque oublié sa condition de dame. Le cardinal, à ses côtés, battait des mains en cadence pour accompagner le rythme des musiciens, Khalil se trémoussait au milieu des filles de son âge et de ses sœurs, entraîné par le foulard que l’une d’elles avait détaché de ses hanches pour le lui passer autour de la taille. La fête tenait le cœur de tous. Même Bouba, juché sur le crâne de son propriétaire, agitait les bras en cadence, un sourire grimaçant sur ses dents serrées que traversait parfois une langue moqueuse.
    Seules deux personnes s’étaient éclipsées discrètement. Elora et le père de Khalil. Ils venaient de gagner l’intérieur de la roulotte qui avait abrité la jeunesse du petit bohémien.
    Alors qu’Elora refermait sur eux l’étroite porte cintrée, Nycola le jeune, comte de petite Égypte Sarrazin, souleva le verre d’une lanterne pour allumer une bougie. La lumière grandit dans la pièce, révélant un mobilier hétéroclite, glané au fil des voyages, des étoffes précieuses jetées de-ci, de-là en un savant mélange de couleurs et de matières. Des motifs floraux peints sur le bois des côtés montaient jusqu’au plafond leurs arabesques de feuilles et de tiges. Il se dégageait de l’endroit, jusqu’aux matelas empilés la journée les uns sur les autres, non la misère d’un peuple d’errance, mais le faste d’un palais en miniature, que la lumière crue du jour aurait montré délavé par les infiltrations d’eau ou reprisé dans ses toiles. Pour l’heure, le lieu était propice aux confidences. Nycola le jeune invita d’un geste Elora à s’asseoir sur les coussins de sol qui meublaient un angle avant de déverrouiller une petite armoire accrochée au mur et d’en sortir une bouteille et deux verres ouvragés. Il s’installa en face d’elle et les remplit d’une liqueur verdâtre.
    — Une décoction de simples. Nous en aurons besoin, je crois, dit-il.
    Elora lui offrit un sourire bienveillant.
    — À quoi m’as-tu reconnue ?
    Les yeux noirs pétillèrent en face d’elle.
    — Au halo de lumière que tu dégages. Il est différent de tous les autres, mais tel que mon père le décrivait.
    — Tu peux le voir ?
    Il hocha la tête.
    — Comme tous les hommes qui m’ont précédé.
    Elora avala une gorgée qui lui caressa la gorge d’une brûlure douce et revigorante avant de conclure :
    — Mais pas Khalil…
    Le noble Nycola secoua sa belle tête aux moustaches qui remontaient jusqu’en haut des pommettes.
    — Khalil n’est pas mon fils. Il n’est pas non plus de notre communauté.
    Une lueur de fierté passa dans son regard.
    — Ne va pas croire que nous l’avons enlevé.
    — Je ne crois en rien d’autre qu’au destin, celui qui nous lie, lui et toi, toi et moi, et moi et Khalil.
    Une main carrée, usée par les intempéries, souleva d’un geste fataliste l’air parfumé de fleurs séchées.
    — C’était il y a dix années tout juste. Nous venions d’arriver en Istanbul. Le sultan Bayezid était absent, mais son grand vizir nous accorda le droit de séjourner dans l’arrière-cour du palais. En levant les yeux vers une des tours au pied de laquelle je me promenais, j’ai vu cette femme sublime qui berçait un nouveau-né. La lumière qui émanait de lui était faible, mais, comme la

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