Elora
mauvaise surprise. L’heureuse à son sens serait que Fanette se noie ou se perde, la mauvaise, qu’elle profite d’un moment d’inattention pour se jeter sur elle et mette un terme à leur rivalité. Pour elle, la traîtresse n’avait pas eu, bien qu’elle soit défigurée, le sort qu’elle méritait.
Quant aux trois enfants, d’un commun accord, les deux femmes avaient jugé qu’il valait mieux, pour cette fois du moins, ne pas les emmener. Ils s’entendaient à merveille et ne firent aucune difficulté pour demeurer seuls quelques jours sous la garde de Presine. D’autant qu’Algonde pouvait aller et venir, elle, en quelques heures seulement, pour s’assurer que tout allait bien.
Sous la terre, la distance à parcourir était réduite, malgré les méandres. Ils n’avaient pas à traverser les monts du Vercors et souffraient d’une température constante alors qu’au plus fort de l’hiver, au-dessus d’eux, les bourrasques se succédaient. Pour autant, il leur était impossible de parler tant le roulement des eaux se répercutait sous la voûte, par endroits réduite à hauteur de genoux, à d’autres, élevée en cathédrale. Sachant qu’elle n’inspirait aucune confiance à son ancienne camarade de rapine, Fanette avait proposé de prendre la tête et la lanterne, Celma, les chandelles de rechange et les sacoches, emplies de viande et de fruits séchés. Toutes deux ayant eu tout loisir de se fabriquer arc et flèches, elles partirent parées.
Après avoir croisé les cadavres décomposés des soldats qu’avait envoyés le prévôt sur leurs traces et compris qu’Algonde, sans le leur dire, avait protégé leurs arrières, elles abandonnèrent cette dernière, retenue par l’étroitesse de la rivière au-delà du dernier lac.
Avec un semblable pincement au cœur, mais pour des raisons différentes, Fanette et Celma empruntèrent le corridor qui conduisait à la salle dans laquelle, tant d’années durant, elles avaient vécu en communauté.
L’odeur de fumée piqua les narines de Fanette au bout du dernier tunnel. Elle tendit le bras en arrière pour immobiliser Celma et se plaqua contre le mur, lui montrant l’infime lueur qui dansait sur la roche. L’endroit était habité. Et à en juger par ce qui avait précédé, ce ne pouvait être que par une arrière-garde. Même si certains de leurs compagnons avaient réchappé à l’embuscade et tenté de regagner l’abri, il était évident qu’ils s’y étaient fait cueillir.
« L’instant de vérité », songea la devineresse. Anticipant sa méfiance, Fanette se pencha vers elle.
— Je vais y aller. Toi, reste là. Si je suis prise, promets-moi seulement de continuer de t’occuper de mon fils comme tu l’as déjà fait.
Celma le lui accorda sans hésiter. Bien que cela lui coûtât, elle détacha son arc passé en bandoulière et l’arma d’une flèche.
— Je te couvre, dit-elle simplement, le regard davantage empli de l’envie de la faucher que de la protéger.
Fanette se contenta de sa parole. Celma n’en avait jamais manqué. Elle s’accroupit et pénétra le plus discrètement possible dans la salle par l’arrière des rochers. Le feu avait été allumé à l’emplacement habituel. Mais elle était trop loin pour distinguer qui s’y trouvait. L’odeur de viande rôtie lui agaça les narines, réveillant à la fois sa faim et l’envie de vengeance. Elle rampa jusqu’à un point d’observation plus efficace, se redressa à peine derrière une concrétion de calcaire pour prendre une flèche dans son carquois. Lorsqu’elle dépassa de la tête, son bras était armé et prêt à tirer.
Elle faillit le baisser et se précipiter en reconnaissant Briseur et La Malice qui déchiquetaient à pleines dents les cuisses d’un lapin. Un regard de droite, de gauche. Ils étaient seuls. Seuls, mais certainement pas mieux disposés à son égard que Celma. Fanette hésita. Revenir en arrière ou affronter ses anciens compagnons. Pour autant qu’elle ait changé, elle avait toujours assumé ses responsabilités. Encore faudrait-il qu’ils lui laissent le temps de s’expliquer. Elle se leva tout à fait, les mit en joue et avança jusqu’à eux.
Briseur la vit le premier. Il fronça les sourcils et en oublia de mâcher. La Malice, réagissant selon son habitude, pivota de trois quarts et bondit sur ses pieds, prêt à se battre. Fanette réalisa qu’ainsi éclairée, elle était sinon méconnaissable, du
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