Elora
l’hiver, illuminer tout sous son rai. Elle avait compris que certains êtres ne sont faits ni d’orgueil ni de paraître et que leur place est ailleurs.
Elle s’était écartée d’Elora, l’avait remerciée pour ce cadeau si précieux et l’avait laissée s’en aller. Sans rien ajouter. Parce que certains hivers sont ainsi. Comme les enfants, ils ne font que passer dans nos vies. Ils ravagent tout sur leur route, bouleversent cœurs et rides du temps mais continuent là où d’autres se sont arrêtés.
Abandonnant dans leur sillage un rêve de printemps.
Une promesse d’été.
25
Hugues de Luirieux poussa un long soupir d’agacement. Face à lui, lavé, soigné, vêtu décemment et ragaillardi par des repas réguliers, Petit Pierre avait récupéré force et vitalité. Mais toujours pas de jugement précis.
— Allons, décide-toi, insista le prévôt en pianotant des doigts.
Petit Pierre se mit à danser d’un pied sur l’autre en portant son pouce à sa bouche. Il le rongeait depuis l’enfance lorsqu’il était tourmenté. Et pour le coup, il ne l’avait jamais été autant. Ses sourcils retombèrent sur son regard désolé.
— Je peux pas. Je les aime tous.
— Alors ils mourront tous ! s’emporta Hugues de Luirieux en bondissant de derrière son bureau pour gagner la porte.
Cette réaction décida le garçonnet. En deux enjambées, il le rattrapa et l’immobilisa par la manche. Deux noms jaillirent :
— Briseur. La Malice. C’est eux que je veux sauver.
Hugues de Luirieux lui tapota la joue.
— Tu vois. Ce n’était pas si difficile.
Le prévôt le planta là sur, déjà, une amorce de regret, non pas à cause du choix qu’il venait de faire, mais parce que c’était injuste vis-à-vis des autres brigands pour lesquels il avait une égale affection. Si seulement il avait pu les désigner tous. Toutes. Mais Luirieux avait été catégorique. Deux hommes. Seulement. Qui partiraient en quête de Mathieu. Alors évidemment… Briseur, La Malice. C’étaient avec Villon les meilleurs amis de son père. Petit Pierre s’alla planter devant la fenêtre du bureau. Il n’avait pas le droit de sortir du bâtiment. Pas le droit de descendre aux geôles. Il n’avait eu que celui de voir ses anciens compagnons de jeux grimper les uns après les autres dans une charrette, s’y asseoir sur de la paille, certains pleurant leurs parents laissés derrière eux, les autres le regard noir et le visage fermé. Petit Pierre avait deviné, esquissée sur leurs lèvres pourtant serrées, cette conviction intime tant de fois ruminée : « Je suis pas un pesneux. » Pas de larmes dehors. Un raz de marée dedans.
Il s’était écarté de la croisée. Pour la première fois, il s’était vraiment senti honteux de se trouver là, mieux loti que les autres. « Sois pas idiot ! Ils sont saufs et tu les reverras certainement », lui avait dit Luirieux en haussant les épaules. Mais Petit Pierre n’avait pas envie de les revoir. Pour leur dire quoi ? Qu’il se terrait comme un rat en attendant que le gibet se balance ? Qu’il connaîtrait, peut-être, un meilleur sort que le leur ? L’avant-veille, profitant de l’absence du prévôt, il avait eu le malheur de s’aventurer dans les couloirs, espérant fausser compagnie aux soldats. Il avait entendu des rires gras, reconnu la voix de plusieurs des filles du campement. Il avait glissé un œil par l’entrebâillement d’une porte. Avant qu’il ait pu comprendre pourquoi elles juraient et criaient autant, le battant s’était écarté. Sa vue avait été bouchée par un des hommes de Luirieux qui l’avait aussitôt renvoyé dans ses quartiers. Il s’était écroulé sur sa paillasse, en larmes. Désespéré de ne rien pouvoir faire. Pour elles. Pour eux tous. Lorsque le prévôt était revenu, il lui avait raconté les agissements suspects de ses hommes. Mais son espoir de justice s’était seulement heurté à un rire et à une recommandation. Celle de ne plus traîner dans ce coin-là.
Alors, il passait ses journées à regarder par la croisée. Dans la cour, malgré la neige, les hommes s’entraînaient à l’épée ou au combat à mains nues. Luirieux était impitoyable avec eux. Qu’il pleuve ou qu’il vente, qu’il grêle ou qu’il neige. Chaque jour, ils s’affrontaient pour garder l’esprit clair et la main vigoureuse. Même Fanette, dans sa rudesse de caractère, n’exigeait pas autant de ses
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