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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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ou, bien sûr, dans le bureau de notre mère abbesse. Je n’ai pas eu, toutefois, l’impression qu’elle consultât beaucoup d’ouvrages propres à la renseigner sur la vie d’une martyre. Laquelle ?
    — J’ai cru ouïr le nom de sainte Apolline.
    — Vraiment ? répéta-t-elle. Messire Venelle, il se passe fort peu d’événements dérogeant à la règle en ce lieu. Notre sainte mère y veille tel un épervier. Aussi toute… extravagance se repère-t-elle vite. Cependant, le mutisme est de rigueur. Une arme à double tranchant, si m’en croyez. Le mutisme ne devient-il pas, parfois, une forme de complicité ? Notre mère que je révère, dont je comprends les incessants efforts, dont j’admire la bonté et l’abnégation, devrait y prendre garde.
    — Vous m’alarmez, madame. Que voulez-vous dire ?
    — Ah, mais j’en ai déjà trop dit, non que je le déplore, sourit-elle. Si vous saviez comme ce lieu m’est précieux. Je lui ai offert ma vie, sans hésitation, sans reculade, et je le protégerai jusqu’à mon dernier souffle. Contrairement à ce que vous affirmâtes à notre douce hostelière, ma mère d’ordre n’a jamais mentionné mon nom et vous avez outrepassé sa permission, j’en jurerais. Beau courage, expliquant que j’ai prétendu y croire afin de vous parler. Henriette de Tisans n’était pas la presque Bienheureuse 20 que l’on vous décrit. Ou alors, je me suis gravement fourvoyée au sujet du message laissé par le Divin Agneau. À Dieu, monsieur. Je vous souhaite le meilleur dans votre quête.
    Elle s’apprêtait à quitter le parloir, et il tenta de la retenir :
    — De grâce, madame, encore une question.
    Elle hocha la tête en dénégation et sortit.
    Hardouin se rassit. Ses doutes se confirmaient : on leur cachait la vérité au sujet de feu Henriette. Toutefois, rien ne prouvait que ce secret ait un rapport avec son meurtre, commis à l’extérieur de l’abbaye des Clairets, à une heure tardive où nulle ne se trouvait dehors.

    M. Justice de Mortagne retrouva le seigneur bailli au dehors et resta très évasif sur les confidences de Marguerite Fouquet, à sa promesse. Il lui tint compagnie jusqu’à l’enterrement d’Henriette. On ne l’y avait pas convié, et la présence de M. de Tisans se limitait à une tolérance d’estime.

    Henriette de Tisans fut portée en terre dans le silence de ses sœurs. Lorsqu’une heure plus tard, le sous-bailli le rejoignit, cadet-Venelle évita son regard encore ravagé de larmes.
    Ils arpentèrent la cour d’honneur sans un mot, le sous-bailli soufflant fort, bouche ouverte, comme s’il espérait évacuer une douleur lui broyant la poitrine. Enfin, il formula avec peine :
    — Que se passe-t-il, Hardouin ? Je ne… Cette haie de religieuses et de novices entourant leur mère et le prêtre 21 … Une bonne centaine…
    Étonné, vaguement ému que le sous-bailli l’ait appelé par son prénom, Hardouin s’enquit :
    — Et ?
    — Et ? Madame de Gausbert et moi-même avons été les seuls à pleurer ma défunte fille. Que se passe-t-il, de grâce et par pitié ?
    — Je ne sais au juste. Sur mon honneur. J’ai toutefois formé le sentiment qu’en dépit de ses vertus de piété, et de ses qualités d’esprit, la damoiselle Henriette n’avait guère suscité la tendresse ou l’affection.
    — Faudrait-il être aimée pour être bonne ? rétorqua M. de Tisans en défense.
    — Non, mais lorsqu’on est bon, on est en général aimé.
    Sentant qu’il avait dépassé la limite en proférant une pesterie indigne du chagrin de l’autre, Hardouin ajouta d’un ton précipité :
    — Votre pardon, je m’égare et m’en veux. Je détesterais vous presser en pareil moment, mais la route est assez longue jusqu’à Nogent-le-Rotrou. Il nous faudrait partir sitôt si nous souhaitons arriver avant le plein de la nuit.
    — Messire Venelle, vous offenserait-il que je ne vous accompagne pas ? Je… je souhaiterais requérir hospitalité de l’abbaye pour la nuit, afin de me recueillir à l’aube nouvelle sur la tombe d’Henriette, en solitude. Je ne veux plus voir ces visages, respectueux mais si vides d’émotion. Je veux… m’ôter ce souvenir de l’esprit, il me blesse.
    — Non pas, j’agirais de même, quoique convaincu que les mauvais souvenirs sont les plus tenaces. Sachez, seigneur bailli, que je condolois de tout cœur. Et puis, qui sait, peut-être nos chemins se croisent-ils

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