Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
fromage, désolée pour la modestie du repas.
    — Non pas, une merveille et une autre merveille que votre gentille attention. J’avais grand-faim.
    — Bah, un bon client, pas cherche-noise 1 pour un fretin, ça se dorelote 2  ! L’auberge est close. Laissez tout sur la table. Je m’en occuperai au demain. Avec votre permission, je monte me coucher. Le matin sera vite là pour une tenancière de ma sorte.
    — Je ne tarderai pas non plus. Encore merci à vous. Maîtresse Hase, je partirai demain au plus preste pour Bellême où j’ai… affaire… S’il vous reste encore de cette splendide soupe, elle me remplira la panse en aisance.
    Maîtresse Hase garda un sourire convenu, ne doutant pas que cette « affaire » était de sang et de mort.
    1 - On ne sait pas si « noise » vient du latin nausea , « nausée », ou nocere , « nuire ».

    2 - De l’ancien français dorelot , qui signifiait « favori choyé », a donné « dorloter ».

XVIII
    Bellême, décembre 1305
    S exte* était passée depuis une heure lorsque Hardouin pénétra dans la ville fortifiée 1 , chevauchant Fringant, un accessoire de son office. L’étalon noir de nuit, haut de cinq bons pieds au garrot 2 , faisait partie du spectacle. Ils avaient belle et sinistre allure tous deux, s’avançant sur les places publiques, lui dans son habit de mort noir et rouge, son masque de cuir fin lui descendant bas dans le cou. Ils avançaient, tel un chimérique centaure dispensateur d’agonie, les fers claquant sur les pavés, fendant la foule massée, agglutinée devant le chafaud, attendant le supplice et le trépas d’un être. Fringant n’aurait pu être blanc, ou gris pommelé, ou baillet 3 . Il le fallait d’un noir aussi intense que les ailes d’un freux 4 .
    Étrange, cette association du noir avec la mort 5 . Les animaux noirs avaient toujours inquiété, voire terrorisé. Les chats noirs, suppôts de Satan, que l’on empalait aux portes des granges afin de conjurer le mauvais sort. Les chauves-souris, censées être les éclaireurs des revenants ou du diable, que l’on attrapait de jour, au nid, afin de les jeter dans le feu. Les corbeaux, confidents des pires secrets, des plus horribles maléfices des sorciers. Les chouettes ou les hiboux crucifiés pour avoir eu le tort de chasser de nuit. Noir, nuit. L’homme est si faible la nuit, si défavorisé. Il n’y voit goutte, quant à son médiocre flair, son ouïe déficiente, mieux vaut pour lui ne pas s’y fier. L’homme redoute ce qu’il ne comprend pas ou ce qui le remet face à sa faiblesse. Mais il déteste tout autant admettre qu’il a peur. La meilleure solution, la moins humiliante, consiste alors pour lui à parer d’habits démoniaques ce qui le terrorise. La peur est exécrable conseillère . Elle rend si convaincants des dangers inexistants qu’on finit par en oublier les véritables . Qu’avait voulu dire la vieille femme désagréable ? Assez avec les devinettes et les charades d’une bonimenteuse de foire !

    Il démonta dans la cour pavée de l’hôtel occupé par le sous-bailli de Bellême. Aussitôt, un valet 6 se rua vers lui, le visage courroucé par tant d’insolence et prêt à tancer et renvoyer l’importun.
    — Qui va là, l’homme ? Où te crois-tu ? Remonte sur ton bourrin et disparais.
    Hardouin lui destina un regard d’un gris glacial avant de lui tendre les rênes de Fringant qui renâcla.
    — Justice de Mortagne. Ne m’échauffe pas la bile sans quoi, je pourrais me raviser. Mon cheval ne t’apprécie guère. Il est de fin jugement. Occupe-t’en bien. Il t’en cuirait, autrement. Mon jeune apprenti Célestin est-il arrivé céans ?
    L’autre, qui avait sans doute reçu des ordres, s’inclina en bafouillant :
    — Oh, votre pardon, messire bour… exécuteur des hautes œuvres. Oui-da, le jeune homme vous attend en l’auberge du Jarse 7 Amoureux, dans la rue du Louvetier. Pas très loin d’ici…
    — Je connais, l’interrompit Hardouin en le plantant là et en lui souhaitant intérieurement bien de l’amusement avec l’étalon qui n’avait pas son pareil pour pousser du poitrail ou de la croupe un individu qui lui déplaisait, jusqu’à l’aplatir contre un mur en soufflant de menaçante manière.

    Le remplacement qu’Hardouin avait accepté en Bellême, à la mort de leur bourreau, Marcel Voisin dit Tue-Chien 8 , trépassé au printemps dernier d’une fièvre, ne l’enchantait guère. Certes,

Weitere Kostenlose Bücher