En ce sang versé
le goût du lait !
Il marqua une courte pause avant de murmurer :
— Quel dommage que vous ne souhaitiez pas être mon ami, vous en avez l’ampleur et le courage. Je vous laisse, à votre guise, l’insolite, messire exécuteur, et m’en vais me dégourdir les membres du bas… où je le puis sans effaroucher nos bonnes religieuses.
De son côté, Hardouin rejoignit l’hostellerie. Il trouva vite la sœur aimable qui les avait reçus un peu plus tôt. Fourbe, Hardouin l’aborda avec un sourire contrarié :
— Madame ma sœur… Avec tout mon respect, je m’étonne… D’ailleurs, le sous-bailli las d’attendre est allé se détendre les membres…
Elle haussa les sourcils d’incompréhension, sans proférer un mot.
— J’avais cru comprendre… Enfin, il m’avait semblé que nous devions rencontrer une novice du nom de Marguerite Fouquet qui aide votre sœur copiste et archiviste. Peut-être a-t-elle été retenue par un urgent ouvrage ? C’est que le temps file et que la regrettée Henriette sera portée en terre sans tarder. Inhumain que de s’acharner ensuite à recueillir des témoignages, après tant d’émotion, de chagrin… Chacune ne souhaitera qu’une chose alors : prier en paix et en recueillement.
La gentille hostelière hésita à rompre son vœu de silence, silence non absolu en cas de nécessité. À l’évidence, une lapidaire réponse s’imposait :
— Messire, à mon tour de m’étonner… Blandine Creusot, la secrétaire de l’abbesse, ne m’avait précisé que deux noms. Bah, avec cette désolante circonstance, elle aura oublié celui de la novice. Je vais la quérir sitôt. De grâce, rejoignez le parloir.
Se sentant quand même coupable de cette déplaisante supercherie, mais au fond satisfait, Hardouin obtempéra. Il n’eut guère à attendre. Quelques minutes plus tard, une très jeune femme déboula, essoufflée dans la vaste salle, portant le court voile noir des novices dont dépassait une masse de cheveux bouclés d’un lumineux châtain. Après une courte révérence, elle le détailla. Tout dans son visage respirait la joie de vivre, jusqu’aux deux fossettes qui soulignaient son sourire incertain. La vitalité qu’elle dégageait charma cadet-Venelle.
— Madame, j’espère ne point vous avoir interrompue…
— Oh, on interrompt toujours une novice, messire, répondit-elle.
Il ne s’agissait que d’une boutade, et il la reçut comme telle.
— Votre pardon, je n’ignore pas combien les journées de monastère sont remplies, et vous remercie d’autant plus des quelques minutes que vous me consacrerez.
Elle cligna de l’œil, amusée, et murmura :
— Je vous en remercie également. N’ayant pas encore prononcé mes vœux, je puis encore me laisser aller à quelques menus bavardages.
— Bienheureux et flatté de vous en offrir l’occasion, madame, sourit le bourreau tant il se sentait en aise avec la très jeune femme.
— Il s’agit de l’horrible trépas d’Henriette de Tisans, je suppose ? reprit-elle, curieuse.
— De juste. Votre sœur copiste m’a indiqué qu’elle fréquentait le scriptorium où votre main sûre fait merveille.
Le visage avenant se crispa un fugace instant. Elle commença :
— Messire…
— Venelle. Hardouin Venelle.
— Messire Venelle, ai-je votre assurance que mes paroles demeureront entre nous ?
— Je ne les rapporterai, en cas d’obligation d’enquête, qu’à messire de Tisans, son père, en lui faisant jurer le secret sur leur provenance. Ma parole, madame, et maudit si je m’en dédis.
— Bien.
— Que pensiez-vous, en sincérité, d’Henriette de Tisans ? De grâce, assoyez-vous.
Elle s’installa en face de lui.
— Difficile de résumer personnalité si… entière, d’autant que je ne la connaissais que de scriptorium, justement. Disons… disons que la fougueuse piété d’Henriette lui faisait… un peu oublier les êtres. Or, notre tâche essentielle n’est-elle pas d’aider les créatures de Dieu ?
— Une sécheresse de cœur ?
— Vos mots, biaisa la jeune novice.
— Et donc, elle menait une recherche au sujet d’une sainte, vierge et martyre ?
— Vraiment ?
À son ton, il comprit qu’elle tentait de l’orienter vers une conclusion qu’elle ne pouvait formuler.
— Ah, je…
— Elle écrivait beaucoup, raison majeure de ses visites puisque le papier, les plumes et cornes à encre se trouvent dans le scriptorium,
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