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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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millième fois sur les visages le même mélange d’émotions : dégoût envers lui et féroce curiosité pour la mise à mort annoncée par les crieurs de rues.
    Un noble de haut ne se décollait pas tous les jours, surtout que celui-ci avait été condamné par un tribunal inquisitoire. Chacun y allait de supputations : messes noires, orgies, fornication avec des animaux. D’aucuns affirmaient, la main sur le cœur, qu’ils s’en étaient toujours doutés. Quelques-uns regrettaient à haute voix que le spectacle se limitât à une décapitation. Cependant, nul n’aurait boudé son divertissement.
    M. Justice de Mortagne et son aide démontèrent au pied du chafaud. L’exécuteur s’agenouilla devant le prêtre qui le bénit et l’absout. Il grimpa ensuite les marches étroites qui menaient sur la plateforme. Il récupéra Enecatrix et en baisa la lame sur laquelle était gravé Eos diligit et suaviter multos interficit 32 . Dans un murmure, il lui demanda pardon de l’offenser avec un sang répugnant.
    Sous les huées, les insultes, les crachats et les obscénités, le fardier tiré par deux chevaux du Perche déboucha sur la place. Deux gardes soutenaient Enguerrand de Silplessis, incapable de tenir debout. Ils le tirèrent et le jetèrent presque au pied du prêtre qui se signa en reculant d’un pas. L’homme de Dieu parvint quand même à demander :
    — Te repens-tu ? Te repens-tu, vite, la fin est proche. Dis les mots et tu seras sauvé.
    Seul un faible râle sortit de la bouche du jadis grand seigneur. Le prêtre ne comprit pas que la langue du condamné avait été tranchée et que la pâmoison provoquée par l’hémorragie consécutive à l’émasculation le gagnait. Effaré, il bafouilla :
    — Ah, mon Dieu… Ah, Divin Agneau… je ne peux plus rien pour toi.
    Nul ne vit la moue de M. Justice de Mortagne, dissimulée par son masque.
    Benoît Lambert déclara d’une voix forte :
    — Enguerrand de Silplessis, vous avez été jugé et condamné pour sorcellerie, moult crimes indicibles et abominables, culte de dulie et de latrie. Pour ces motifs, votre tête sera décollée de votre corps. Ayant bafoué votre noblesse, votre dépouille sera exposée au gibet 33 et votre nom rayé des églises. Votre déshonneur et décadence ne concernant que vous, le tribunal, dans sa sagesse et sa mansuétude, ne déchoit pas les membres de votre famille de leur titre et privilèges et ne confisque pas leurs biens 34 . Qu’il en soit ainsi fait.
    Des applaudissements nourris saluèrent cette tirade. Du bon argent qui ne disparaîtrait pas dans les poches des religieux inquisiteurs, que l’on détestait mais redoutait. Enguerrand de Silplessis fut traîné en haut du chafaud par les gardes et agenouillé devant la bille de bois, sur laquelle il s’affala, à moitié inconscient.
    Hardouin cadet-Venelle déclara à voix basse :
    — J’ai charge de t’ôter la vie. Je ne t’en demande pas le pardon puisque tu n’es plus mon frère en Jésus-Christ. Je te conseille de tendre bien le col, non pour t’éviter des souffrances mais pour épargner ma magnifique lame.
    Enecatrix se dressa. Tel un éclair dans le jour déclinant, elle s’abattit sur l’homme qui s’était arrogé le droit de supplicier des créatures humaines pour sa satisfaction.

    M. Justice de Mortagne récupéra la bourse prévue pour son office. Benoît Lambert n’avait maintenant qu’une hâte : qu’il disparaisse.
    Célestin toujours en croupe, ils sortirent de la belle cité défensive et jadis close, entourée par une vaste forêt. Ayant vaillamment combattu, cinq siècles plus tôt, l’envahisseur scandinave qui convoitait tout le royaume de France, l’importance et l’opulence de la ville mamourée 35 tantôt par le roi de France, tantôt par le puissant duché de Normandie, n’avaient fait que s’étendre.
    — Nous nous changerons dans un quart de lieue, annonça Hardouin. La nuit va bientôt tomber. Nous ferons halte dans une auberge, afin de nous restaurer et de nous reposer.
    — Encore un que le Malin a pris dans ses rets 36 , commenta le jeune garçon.
    — Encore un qui s’est servi du Malin pour assouvir ses immondes penchants, corrigea Hardouin.
    — N’avez-vous jamais constaté la présence du diable, messire ?
    — Non. En revanche, j’ai rencontré beaucoup d’êtres bien pis que lui.
    1 - La seigneurie de Bellême fut unie au domaine royal en 1226. Elle fut ensuite liée à

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