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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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murmura Hardouin.
    Il détailla le regard affolé du petit homme, ses joues enfantines crispées de fureur et de dégoût. Lambert se souvenait, en dépit de ses efforts pour oublier, jusqu’où peut mener la cruauté humaine. Hardouin en savait bien davantage que lui à ce sujet. Cependant, lui avait appris à estomper, à évacuer le dernier son, la dernière image dès qu’il se lavait les mains et le visage du sang qui les couvrait. Le sang de l’autre. Pour la première fois depuis le début de leur collaboration, le sous-secrétaire ne lui faisait pas l’effet d’un énervant toton 23 , s’éparpillant ci et là.
    Benoît Lambert récupéra un court rouleau de papier sur son bureau, fermé du sceau du sous-bailli de Bellême, en précisant :
    — Vous vous en doutez : le seigneur sous-bailli n’a ressenti aucune envie d’alléger sa peine d’un retentum confidentiel. Au demeurant, il a fourni de considérables efforts pour ne pas l’occire de ses mains.
    Hardouin ne s’en étonna point. Peu connaissaient l’existence de ce retentum , une mesure d’indulgence réservée aux condamnés à qui l’on concédait des circonstances d’atténuation. Le seigneur bailli ajoutait alors une ligne en bas de la sentence, au seul usage de l’exécuteur des hautes œuvres, lui indiquant, par exemple, d’abréger les tourments d’un supplicié en ne les infligeant qu’une heure au lieu de deux ou trois ou même de rompre discrètement le col d’un condamné au bûcher de justice avant d’incendier la paille recouvrant les branchages. D’autres, souvent des femmes, étaient enivrés avec force gorgeons au point de ne plus comprendre que la lame brandie au-dessus d’elles allait s’abattre sur la bille de bois du chafaud.
    — Toutefois, poursuivit le sieur Lambert, Enguerrand de Silplessis est, certes, de haut. Aussi, afin d’éviter d’embarrassantes questions et un opprobre qui ne manqueraient pas de rejaillir sur sa famille, voire sur toute la noblesse de notre coin de terre, après… votre office, qui ne sera pas rendu public, il sera revêtu et décapité à l’épée.
    — Je doute qu’il mérite mon Enecatrix , commenta Hardouin en faisant allusion à la magnifique épée à feuille, qui le servait sans jamais faillir, dans son œuvre de mort.
    — Il ne mérite même pas la corde pour le pendre, siffla Lambert, mauvais.
    — Permettez-moi de me vêtir, déclara alors Hardouin.
    — De grâce, messire, de grâce…
    Benoît Lambert trottina tel un mulot bien nourri vers la porte de son bureau, pila et se retourna pour ajouter :
    — La procédure est inhabituelle, mais il nous semble préférable, afin de ne pas vous déranger deux fois ou vous retarder en notre ville, que l’exécution ait lieu avant le soir échu, après… le reste.
    Le bourreau retint un sourire : Albert de Clairemontaine voulait en finir au plus vite, par détestation de Silplessis mais surtout afin d’éviter que celui-ci ne parvienne à évoquer, de quelque manière que cela fût, la damoiselle Aude et leurs prochaines épousailles.

    M. Justice de Mortagne enfila son caleçon ajusté de cuir noir, sangla son pourpoint de cendal rouge sang sur lequel les giclures se remarquaient moins. Il passa dessus une sorte de long tablier de cuir à manches, noué dans le dos, qu’il ne retirerait qu’au moment de l’exécution, après le reste. Enfin, il plaqua le masque noir sur son visage. Un soupir. Il bascula dans un autre monde, un monde où plus rien ni personne n’existait, hormis quelques heures passées dans une salle de Question, puis sur une place publique. Des heures qui ne laisseraient ensuite, lorsqu’il aurait réintégré l’univers des vivants, pas plus de traces qu’un pétale tombé au sol, une goutte rejoignant la mer.

    Il récupéra Célestin qui avait enfilé sa tunique de cuir noir à large ceinture, le masque qui lui couvrait le haut du visage et les sabots, uniforme du valet du bourreau. Ils quittèrent la cour pavée. Leur apparition dans la rue engendra un épais silence qui les escorta jusqu’au château. Les passants longèrent les murs des maisons afin de leur laisser passage, une commère tira son enfançon dans ses jupes en un geste inconscient de protection, des commerçants baissèrent le nez, prétendant ne pas les voir.
    Les gardes qui attendaient l’heure de la relève à la grille les laissèrent passer sans un mot, comme s’ils redoutaient une sorte de

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