En Route
récolaient, s'épuraient, silencieux, l'âme.
De quelles fautes peuvent-ils bien s'accuser, pensait Durtal ? qui sait ? Reprit-il, apercevant le frère Anaclet, la tête dans sa poitrine et les mains jointes ; qui sait s'il ne se reproche pas l'affection si discrète qu'il a pour moi ; car, dans les couvents, toute amitié est interdite !
Il se remémorait, dans le Chemin de la perfection de sainte Térèse, une page à la fois ardente et glacée où elle crie le néant des liaisons humaines, déclare que l'amitié est une faiblesse, avère nettement que toute religieuse qui désire voir ses proches est imparfaite.
- Venez, dit le P. Etienne qui interrompit ses réflexions et le poussa par la porte d'où sortait un moine, dans la cellule. Le P. Maximin y était assis, près d'un prie-dieu.
Durtal s'agenouilla et lui raconta, brièvement, ses scrupules, ses luttes de la veille.
- Ce qui vous arrive n'est pas surprenant après une conversion ; au reste, c'est bon signe, car, seules, les personnes sur lesquelles Dieu a des vues sont soumises à ces épreuves, dit lentement le moine, lorsque Durtal eut terminé son récit.
Et il poursuivit :
- Maintenant que vous n'avez plus de péchés graves, le démon s'efforce de vous noyer dans un crachat. En somme, dans ces épisodes d'une malice aux abois, il y a pour vous tentation et non pas faute.
Vous avez, si je sais résumer vos aveux, subi la tentation de la chair et de la foi et vous avez été torturé par le scrupule.
Laissons de côté les visions sensuelles ; telles qu'elles se sont produites, elles demeurent indépendantes de votre volonté, pénibles, sans doute, mais inactives.
Les doutes sur la Foi sont plus dangereux.
Pénétrez-vous bien de cette vérité qu'il n'existe, en sus de la prière, qu'un remède qui soit souverain contre ce mal, le mépris.
Satan est l'orgueil, méprisez-le et aussitôt son audace croule ; il parle ; haussez les épaules, et il se tait. Ce qu'il faut, c'est de ne pas disserter avec lui ; si retors que vous puissiez être, vous auriez le dessous, car il possède la plus rusée des dialectiques.
- Oui, mais comment faire ? je ne voulais pas l'écouter et je l'entendais quand même ; j'étais bien obligé, ne fût-ce que pour le réfuter, de lui répondre.
- Et c'est justement sur cela qu'il comptait pour vous réduire ; retenez avec soin ceci : afin de vous donner la facilité de le rétorquer, il vous présentera, au besoin, des arguments grotesques et, une fois qu'il vous verra, confiant, naïvement satisfait de l'excellence de vos répliques, il vous embrouillera dans des sophismes si spécieux que vous vous débattrez vainement pour les résoudre.
Non, je vous le répète, eussiez-vous la meilleure des raisons à lui opposer, ne ripostez pas, refusez la lutte.
Le prieur se tut, puis tranquillement, il reprit :
- Il y a deux manières de se débarrasser d'une chose qui gêne, la jeter au loin ou la laisser tomber. Jeter au loin exige un effort dont on peut n'être pas capable, laisser tomber n'impose aucune fatigue, est simple, sans péril, à la portée de tous.
Jeter au loin implique encore un certain intérêt, une certaine animation, voire même une certaine crainte ; laisser tomber, c'est l'indifférence, le mépris absolu ; croyez-moi, usez de ce moyen et Satan fuira.
Cette arme du mépris serait aussi toute-puissante pour vaincre l'assaut des scrupules si, dans les combats de cette nature, la personne assiégée y voyait clair. Malheureusement, le propre du scrupule est d'affoler les gens, de leur faire perdre aussitôt la tramontane, et il est dès lors indispensable de s'adresser au prêtre, pour se défendre.
En effet, poursuivit le moine, qui s'était interrompu, un moment, pour réfléchir - plus on se regarde de près et moins on se voit ; l'on devient presbyte dès qu'on s'observe ; il est nécessaire de se placer à un certain point de vue pour distinguer les objets, car lorsqu'ils sont très rapprochés, ils deviennent aussi confus que s'ils étaient loin. C'est pourquoi il faut, en pareil cas, recourir au confesseur qui n'est ni trop éloigné, ni trop contigu, qui se tient juste à l'endroit d'où les objets se détachent dans leur relief. Seulement, il en est du scrupule ainsi que de certaines maladies qui, lorsqu'elles ne sont pas prises à temps, deviennent presque incurables.
Ne lui permettez donc point de s'implanter en vous ; le scrupule ne résiste pas à l'aveu, dès
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