En Route
"l'homme".
- Et elle emploie, quand elle veut se désigner, cette étrange expression : "moi, la chétive forme", repartit le prieur. - Mais voici une autre écrivain qui nous est chère aussi, et il montra à Durtal les deux volumes de sainte Gertrude. Celle-là est encore l'une de nos grandes moniales, une abbesse vraiment bénédictine, dans le sens exact du mot, car elle faisait expliquer les saintes écritures à ses nonnes, voulait que la piété de ses filles s'appuyât sur la science, que leur foi se sustentât avec des aliments liturgiques, si l'on peut dire.
- Je ne connais d'elle que ses Exercices, observa Durtal et ils m' ont laissé le souvenir de paroles d'écho, de redites des livres saints. Si tant est qu'on puisse 1 la juger sur de simples extraits, elle me paraît ne pas avoir l'expression originale, être bien au-dessous d'une sainte Térèse ou d'une sainte Angèle.
- Sans doute, répondit le moine. Elle se rapproche cependant de sainte Angèle par le don de la familiarité lorsqu'elle converse avec le Christ et aussi par la véhémence amoureuse de ses propos ; seulement tout cela se transforme en sortant de sa propre source ; elle pense liturgiquement ; et cela est si vrai que la plus minime des réflexions se présente aussitôt à elle, habillée de la langue des Evangiles et des Psaumes.
Ses Révélations, ses Insinuations, son Héraut de l'amour divin sont merveilleux à ce point de vue ; puis n'est-elle pas exquise sa prière à la Sainte Vierge qui débute par cette phrase : Salut, ô blanc lis de la Trinité resplendissante et toujours tranquille ? …
Comme suite à ses oeuvres, les Bénédictins de Solesmes ont édité aussi les Révélations de sainte Mechtilde, son livre sur la Grâce spéciale et la Lumière de la Divinité de son homonyme la soeur de Magdebourg ; ils sont là, sur cette rangée…
- Que je vous montre des guides savamment jalonnés pour l'âme qui s'échappe d'elle-même et veut tenter l'ascension des monts éternels, dit à son tour M. Bruno, en présentant à Durtal la Lucerna mystica de Lopez Ezquerra, les in-quarto de Scaramelli, les tomes de Schram, l'Ascétique chrétienne de Ribet, les Principes de théologie mystique du père Séraphin.
- Et celui-ci, le connaissez-vous ? Reprit l'oblat ; ce volume qu'il tendait était intitulé De l'Oraison, demeurait anonyme, portait en bas de sa première page : Solesmes, typographie de l'abbaye de Sainte-Cécile - et au-dessous de la date imprimée 1886, Durtal déchiffra ces mots écrits à l'encre : "Communication essentiellement privée."
- Je n'ai jamais vu cet opuscule qui ne semble pas, du reste, avoir été mis dans le commerce ; quel en est l'auteur ?
- La plus extraordinaire des moniales de ce temps ; l'abbesse des bénédictines de Solesmes. Je regrette seulement que vous partiez si tôt, car j'eusse été heureux de vous le faire lire.
Au point de vue du document il est d'une science vraiment souveraine et il contient d'admirables citations de sainte Hildegarde et de Cassien ; au point de vue de la mystique même, la mère Sainte-Cécile ne fait évidemment que reproduire les travaux de ses devancières et elle ne nous apprend rien de très neuf. Néanmoins, je me rappelle un passage qui me semble plus spécial, plus personnel. Attendez…
Et l'oblat compulsa quelques pages. Le voici :
"L'âme spiritualisée ne paraît pas exposée à la tentation proprement dite, mais par une permission divine, elle est appelée à se frotter au démon, esprit contre esprit… le contact du démon est alors perçu à la surface de l'âme, sous la forme d'une brûlure tout à la fois spirituelle et sensible… si l'âme tient bon dans son union avec Dieu, si elle est forte, la douleur quoique très vive est supportable, mais si l'âme commet quelque légère imperfection même intérieure, le démon avance d'autant et porte son horrible brûlure plus avant, jusqu'à ce que, par des actes généreux, elle ait pu le repousser plus au dehors."
Cet effleurement satanique qui produit un effet presque matériel sur les parties les plus intangibles de notre être est, vous l'avouerez, pour le moins curieux, conclut l'oblat, en fermant le volume.
- La mère Sainte-Cécile est une stratégiste remarquable d'âme, fit le prieur, mais… mais… cette oeuvre qu'elle a rédigée pour les filles de son abbaye contient, je crois, quelques propositions téméraires qui n'ont pas été lues sans déplaisir à
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