En Route
Trappe se referma, cette porte devant laquelle il avait tremblé, en arrivant, et qu'il considérait, les larmes aux yeux, maintenant.
- Nous allons détaler bon train, fit le procureur, car nous sommes en retard. Et le cheval courut, ventre à terre, sur les routes.
Durtal reconnaissait son compagnon pour l'avoir entrevu dans la rotonde, chantant au choeur, pendant l'office.
Il avait l'air à la fois bonhomme et décidé et son petit oeil gris souriait, en furetant, derrière des lunettes à branches.
- Eh bien, dit-il, comment avez-vous supporté notre régime ?
- J'ai eu toutes les chances ; je suis débarqué, ici, l'estomac détraqué, le corps malade et les repas laconiques de la Trappe m' ont guéri !
Et Durtal lui narrant brièvement les stages d'âme qu'il avait subis, le moine murmura :
- Ce n'est rien, en fait d'assauts démoniaques, nous avons eu, ici, de véritables cas de possession.
- Et c'est le frère Siméon qui les a résolus !
- Ah ! vous savez cela… et il répliqua très simplement à Durtal qui lui parlait de son admiration pour les pauvres convers.
- Vous avez raison, monsieur ; si vous pouviez causer avec ces paysans et ces illettrés, vous seriez surpris des réponses souvent profondes que ces gens vous feraient ; puis ils sont les seuls qui soient réellement courageux à la Trappe ; nous autres, les pères, lorsque nous nous croyons trop affaiblis, nous acceptons volontiers le supplément autorisé d'un oeuf ; eux pas ; ils prient davantage et il faut admettre que Notre-Seigneur les écoute, puisqu'ils se rétablissent et ne sont, en somme, jamais malades.
Et à une question de Durtal lui demandant en quoi consistaient ses fonctions de procureur, le moine repartit :
- Elles consistent à tenir des comptes, à être placier de commerce, à voyager, à pratiquer tout, hélas ! Sauf ce qui concerne la vie du cloître ; mais nous sommes si peu nombreux à Notre-Dame de l'Atre que nous devenons forcément des maîtres Jacque. Voyez le père étienne qui est cellérier de l'abbaye et hôtelier, il est aussi sacristain et sonneur de cloches ; moi, je suis également premier chantre et professeur de plain-chant.
Et, tandis que la voiture roulait, cahotée dans les ornières, le procureur affirmait à Durtal qui lui racontait combien les offices chantés de la Trappe l'avaient ravi :
- Ce n'est pas chez nous qu'il convient de les entendre ; nos choeurs sont trop restreints, trop faibles, pour pouvoir soulever la masse géante de ces chants. Il faut aller chez les moines noirs de Solesmes ou de Ligugé, si vous voulez retrouver les mélodies grégoriennes exécutées, telles qu'elles le furent au Moyen Age. à propos, connaissez-vous, à Paris, les Bénédictines de la rue Monsieur ?
- Oui, mais ne pensez-vous point qu'elles roucoulent un peu ?
- Je ne dis pas ; n'empêche cependant que leur répertoire est authentique ; mais au petit séminaire de Versailles, vous avez mieux encore, puisqu'on y chante exactement comme à Solesmes ; remarquez-le bien, du reste, à Paris, quand les églises consentent à ne pas répudier les cantilènes liturgiques, elles usent, pour la plupart, de la fausse notation imprimée et répandue à foison dans tous les diocèses de France, par la maison Pustet, de Ratisbonne.
Or, les erreurs et les fraudes dont pullulent ces éditions sont avérées.
La légende sur laquelle ses partisans l'étayent est inexacte. Prétendre, ainsi qu'ils le font, que cette version n'est autre que celle de Palestrina qui fut chargé par le pape Paul v de réviser la liturgie musicale de l'église, est un argument dénué de véracité et privé de force, car tout le monde sait que lorsque Palestrina est mort il avait à peine commencé la correction du Graduel.
J'ajouterai que, quand bien même ce musicien aurait achevé son oeuvre, cela ne prouverait pas que son interprétation devrait être préférée à celle qui a été récemment constituée, après de patientes recherches, par l'abbaye de Solesmes ; car les textes bénédictins s'appuient sur la copie conservée au monastère de Saint-Gall, de l'antiphonaire de saint Grégoire qui représente le monument le plus ancien, le plus sûr que l'église détienne du vrai plain-chant.
Ce manuscrit dont des fac-similés, dont des photographies existent est le code des mélodies grégoriennes et il devrait être, s'il m'est permis de parler de la sorte, la bible neumatique des maîtrises.
Les disciples
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