En Route
milliers de cierges qui se succèdent, en brûlant, du matin au soir, devant la Vierge.
Eh bien ! Moi, qui recherche dans les chapelles les coins les plus déserts, les endroits les plus sombres, moi qui exècre les cohues, je me mêle presque volontiers aux siennes. C'est que, là, chacun s'isole et que néanmoins chacun s'entr' aide ; l'on ne voit même plus les corps humains qui vous environnent, mais l'on sent le souffle des âmes qui vous entourent. Si réfractaires, si humide que l'on puisse être, l'on finit par prendre feu à ce contact et l'on s'étonne de se trouver tout à coup moins vil ; il me semble que les prières qui, autre part, lorsqu'elles me sortent des lèvres, retombent, épuisées et presque froides sur le sol, s'élancent dans ce lieu, sont emportées, soutenues par les autres, et qu'elles s'échauffent et qu'elles planent et qu'elles vivent !
A Saint-Séverin, j'ai bien éprouvé déjà cette sensation d'une assistance s'épandant des piliers et coulant des voûtes, mais, tout bien considéré, ces secours étaient plus faibles. Peut-être que, depuis le Moyen Age, cette église use, à force de ne pas les renouveler, les célestes effluves dont elle est chargée ; tandis qu'à Notre-Dame, cette aide qui jaillit des dalles est continuellement vivifiée par la présence ininterrompue d'une ardente foule. Dans l'une, c'est la pierre imprégnée, c'est l'église même qui vous réconforte, dans l'autre c'est surtout la ferveur des multitudes qui l'emplissent.
Et puis, j'ai cette impression bizarre que la Vierge, attirée, retenue par tant de foi, ne fait que séjourner dans les autres églises, qu'elle n'y va qu'en visite, tandis qu'elle est installée à demeure, qu'elle réside réellement à Notre-Dame.
L'abbé souriait.
- Allons, je vois que vous la connaissez et que vous l'aimez ; et pourtant, cette église n'est pas située sur notre rive gauche, hors de laquelle il n'est point de sanctuaire qui vaille, m'avez-vous dit, un jour.
- Oui, et cela m' étonne - d'autant qu'elle se dresse en plein quartier commerçant, à deux pas de la Bourse dont elle peut entendre les cris ignobles !
- Et elle fut elle-même une Bourse, répliqua l'abbé.
- Comment ?
- Après avoir été baptisée par des moines et avoir servi de chapelle aux augustins déchaux, elle a, pendant la Révolution, subi les derniers outrages ; la Bourse s'est installée dans ses murs.
- J'ignorais ce détail, s'écria Durtal.
- Mais, reprit l'abbé, il en fut d'elle comme de ces Saintes qui, si l'on en croit leurs biographes, recouvrèrent dans une vie d'oraisons la virginité qu'elles avaient autrefois perdue. Notre-Dame s'est lavée de son stupre et, bien qu'elle soit relativement jeune, elle est aujourd'hui saturée d'émanations, injectée d'effluences angéliques, pénétrée de sels divins ; elle est pour les âmes infirmes ce que certaines stations thermales sont pour le corps. On y fait des saisons, on y accomplit des neuvaines, on y obtient des cures.
Eh bien ! Revenons à nos moutons, je vous disais donc que vous agiriez sagement, en allant, les mauvais soirs, assister au salut dans cette église ; je serais surpris si vous n'en sortiez pas émondé et vraiment calme.
- S'il n'a que cela à m'offrir, c'est peu, pensa Durtal. Et, après un silence découragé, il reprit :
- Mais, Monsieur l'abbé, quand même je fréquenterais ce sanctuaire et suivrais les offices des autres églises, alors que les tentations m'assaillent ; quand même je me confesserais et m'approcherais des sacrements, à quoi cela m'avancerait-il ? Je rencontrerais, en sortant, une femme dont la vue me tisonnerait les sens ; eh bien ! Ce serait, comme après mes départs énervés de Saint-Séverin ; l'attendrissement même que j'aurais eu dans la chapelle me perdrait, je suivrais la femme.
- Qu'en savez-vous ? - Et subitement le prêtre se leva et arpenta la chambre.
- Vous n'avez pas le droit de parler ainsi, car la vertu du sacrement est formelle ; l'homme qui a communié n'est plus seul. Il est armé contre les autres et défendu contre lui-même ; et se croisant les bras devant Durtal, il s'exclama :
- Perdre son âme pour le plaisir de projeter un peu de boue hors de soi, car c'est cela votre amour humain ! Quelle démence ! - Et depuis le temps que vous vous réprouvez, cela ne vous dégoûte point ?
- Si, je me dégoûte-mais après que mes porcheries sont satisfaites. -si seulement je pouvais arriver
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