En Route
d'articles. Il allait pourtant falloir y recourir ! Et il se sentit froid dans le dos ; je vais en parler au père Etienne quand il viendra, se dit-il.
Il n'eut pas longtemps à se débattre avec lui-même, car presque aussitôt le moine entra et lui dit :
- Avez-vous remarqué quelque chose qui vous manque et dont la présence vous serait utile ?
- Non, mon père ; pourtant si vous pouviez m' obtenir un peu plus d'eau…
- Rien n'est plus simple ; je vous en ferai monter, tous les matins, une grande cruche.
- Je vous remercie… voyons, je viens d'étudier le règlement…
- Je vais vous mettre tout de suite à votre aise, fit le moine. Vous n'êtes astreint qu'à la plus stricte exactitude ; vous devez pratiquer les offices canoniaux, à la lettre. Quant aux exercices marqués sur la pancarte, ils ne sont pas obligatoires ; tels qu'ils sont organisés, ils peuvent être utiles à des gens très jeunes ou dénués de toute initiative, mais ils gêneraient, à mon sens du moins, plutôt les autres ; d'ailleurs, en thèse générale, nous ne nous occupons pas, ici, des retraitants, - nous laissons agir la solitude, - c'est à vous qu'il appartient de vous discerner et de distinguer le meilleur mode pour employer saintement votre temps. Donc, je ne vous imposerai aucune des lectures désignées sur ce tableau ; je me permettrai seulement de vous engager à dire le petit office de la Sainte Vierge ; l'avez-vous ?
- Le voici, dit Durtal, qui lui tendit une plaquette.
- Il est charmant, votre volume, dit le père Etienne qui feuilleta les pages luxueusement imprimées en rouge et noir. Il s'arrêta à l'une d'elles et lut tout haut la troisième leçon des Matines.
- Est-ce beau ! s'écria-t-il. - La joie jaillissait soudain de cette figure ; les yeux s'illuminaient, les doigts tremblaient sur la plaquette. - oui, fit-il, en la refermant, lisez cet office, ici surtout, car, vous le savez, la vraie patronne, la véritable abbé des Trappes, c'est la Sainte Vierge !
Après un silence, il reprit : j'ai fixé à huit jours la durée de votre retraite, dans la lettre que j'ai envoyée à l'abbé Gévresin, mais il va de soi que si vous ne vous ennuyez pas trop ici, vous pourrez y demeurer autant que vous le croirez bon.
- Je souhaite de pouvoir prolonger mon séjour parmi vous, mais cela dépendra de la façon dont mon corps supportera la lutte ; j'ai l'estomac assez malade et je ne suis pas sans crainte ; aussi, pour parer à tout événement, vous serai-je obligé si vous pouviez me faire venir, le plus tôt possible, le confesseur.
- Bien, vous le verrez demain ; je vous indiquerai l'heure, ce soir, après complies. Quant à la nourriture, si vous l'estimez insuffisante, je vous ferai allouer un supplément d'un oeuf ; mais, là, s'arrête la discrétion dont je puis user, car la règle est formelle, ni poisson, ni viande, - des légumes, et, je dois vous l'avouer, ils ne sont pas fameux !
Vous allez en juger, d'ailleurs, car l'heure du souper est proche ; si vous le voulez bien, je vais vous montrer la salle où vous mangerez en compagnie de M. Bruno.
Et, tout en descendant l'escalier, le moine poursuivit : M. Bruno est une personne qui a renoncé au monde et qui, sans avoir prononcé de voeux, vit en clôture. Il est ce que notre règle nomme un oblat ; c'est un saint et un savant homme qui vous plaira certainement ; vous pourrez causer avec lui, pendant le repas.
- Ah ! fit Durtal, et avant et après, je dois garder le silence ?
- Oui, à moins que vous n'ayez quelque chose à demander, auquel cas, je serai toujours à votre disposition, prêt à vous répondre.
Pour cette question du silence, comme pour celle des heures du lever, du coucher, des offices, la règle ne tolère aucun allègement ; elle doit être observée à la lettre.
- Bien, fit Durtal, un peu interloqué par le ton ferme du père ; mais, voyons, j'ai vu sur ma pancarte un article qui m' invite à consulter un tableau d'avertissement et je ne l'ai pas, ce tableau !
- Il est pendu sur le palier de l'escalier, près de votre chambre ; vous le lirez, à tête reposée, demain ; prenez la peine d'entrer, fit-il, en poussant une porte située dans le corridor en bas, juste en face de celle de l'auditoire.
Durtal se salua avec un vieux monsieur qui vint au-devant de lui ; le moine les présenta et disparut.
Tous les mets étaient sur la table : deux oeufs sur le plat, puis une jatte de riz, une autre de
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