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Enfance

Enfance

Titel: Enfance Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nathalie Sarraute
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encore à ma mère, il n’est plus très bien fixé, mais à certains moments je le sens, il se met à me tirailler… une douleur pareille à celles, latentes, que réveille l’atmosphère ambiante, le froid, l’humidité… mais les paroles de mon père… « Si elle y tient vraiment, elle peut très bien… » agissent comme un anesthésiant qui m’aide à achever d’arracher sans trop souffrir ce qui s’accroche encore… voilà, je l’ai fait, « C’est ici que je veux rester. »
    Je ne sais pas si mon père m’a serrée dans ses bras, je ne le pense pas, ça ne m’aurait pas fait sentir davantage la force de ce qui nous unit, et son soutien total, sans condition, rien n’est exigé de moi en échange, aucun mot ne doit aller lui porter ce que je ressens… et même si je ne sentais pas envers lui ce que les autres appellent l’amour, mais ce qui entre nous ne se nomme pas, cela ne changerait rien, ma vie lui serait aussi essentielle… plus peut-être que la sienne ?… en tout cas autant…
    Je savais que dans la joie qu’il comprimait en lui il y avait aussi la certitude que j’avais fait pour moi d’abord le bon choix.  
    — Pour lui-même… mais y a-t-il pensé ? il est clair que ta présence à son foyer ne pourrait que rendre sa vie plus difficile… il est apparu plus tard qu’avant de prendre la décision de se remarier, il avait demandé à ta mère si elle consentirait à te laisser à lui et qu’elle n’avait pas même daigné répondre…  
    — Comment savoir si ne s’est pas glissée en lui une amertume… mais tout ce que j’ai perçu, c’est son air soulagé, détendu, et une complicité joyeuse avec moi que j’entends encore dans sa voix quand il me dit : « Tu sais, il suffit que je ne bouge pas… Si je ne t’envoie pas moi-même là-bas, il n’y a aucune chance qu’on vienne te reprendre. »  

 
    Le mercredi après-midi, en sortant de l’école, puisqu’il n’y a pas de devoirs à faire pour le lendemain, je vais parfois jouer avec Lucienne Panhard, une fille de ma classe. Elle a le même âge que moi à deux mois près et la même taille, son mince visage est très gai, ses yeux sont légèrement bridés, et ses deux grosses nattes dorées que sa mère met longtemps à tresser lui descendent plus bas que la taille, pas comme mes deux « queues de rat », qui m’arrivent aux épaules et que je peux moi-même très vite natter. Lucienne m’attend au coin de la rue d’Alésia et de la rue Marguerin pendant que je cours déposer mon cartable et prévenir que je vais jouer chez elle.
    Le café de ses parents avec « Panhard » inscrit en grosses lettres rouges au-dessus de la porte est tout au bout de l’avenue du parc Montsouris, juste à côté de l’entrée du parc, à droite, à l’angle de deux rues.
    J’aime ce petit café très clair, bien astiqué, les parents de Lucienne ont l’air jeune et gentil, ils rient souvent, ils plaisantent… Je suis contente quand Madame Panhard nous laisse laver les tasses et les verres, c’est une faveur que nous devons lui demander, en promettant de faire bien attention… Mais ce que je préfère, c’est poser sur les petites tables, devant les clients, un verre de vin ou une tasse de café, dire « Voici Madame », sur le ton d’une vraie serveuse, ramasser la monnaie, « Merci Monsieur », la rapporter à la caisse, guetter le départ des clients pour me précipiter, desservir, bien essuyer la table avec une éponge mouillée. Je ne sais si c’est mon zèle, mon amusement qui se communiquent à Lucienne, mais elle qui pourtant peut avoir chaque jour cette chance veille aussi jalousement que moi à ce que chacune de nous serve à son tour… les clients assis aux tablés sont rares à cette heure-là, nous nous les disputons, parfois Madame Panhard intervient, elle choisit entre nos mains tendues, elle écarte celles-ci… Non, cette fois, ce n’est pas à toi… elle dispose le verre ou la tasse convoités entre celles-là… Tiens, porte-la, c’est ton tour… Et toi tu le feras la prochaine fois… Pour notre goûter, elle nous laisse choisir sous la cloche de verre un croissant ou une brioche ou une madeleine, elle donne à chacune de nous une barre de chocolat et elle nous verse à chacune un verre de limonade que nous buvons debout près du comptoir… Quand nous en avons assez de jouer à la plongeuse, à la serveuse, nous allons dans le parc, près de l’entrée, nous sautons à

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