Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
accordait un territoire bien à eux pour y vivre, ainsi que le droit de chasser partout au sud de l’Arkansas, « aussi longtemps que les bisons seront suffisamment nombreux à paître sur ces terres pour justifier cette chasse ». De fait, les plaines situées entre l’Arkansas et les affluents de la rive ouest de la Red River étaient noires de troupeaux fuyant le nord à cause de l’avancée de la civilisation. Les Kiowas possédaient de beaux mustangs au pied léger. Quand ils se retrouvaient à court de munitions, ils utilisaient leurs flèches. La quantité d’animaux qu’ils tuaient suffisait à couvrir tous leurs besoins en viande, vêtements et abris.
Mais un jour, de longues colonnes de Tuniques Bleues approchèrent du campement d’hiver de la tribu, installé au bord d’un ruisseau, le Rainy Mountain Creek. Soucieux d’éviter un combat, Satanta et Lone Wolf, accompagnés d’une escorte de guerriers, décidèrent de parlementer avec Custer. Satanta était un grand gaillard aux cheveux noir de jais couvrant ses solides épaules. Il avait les membres épais, musclés, et un visage ouvert sur lequel se lisait la confiance qu’il mettait dans sa puissance. Son visage et son corps étaient peints d’un rouge brillant, et sa lance de fanions de la même couleur. C’était un amateur de grandes chevauchées et de belles bagarres, bon mangeur et gros buveur. Il avait un rire communicatif et aimait tout le monde, même ses ennemis. Il alla à la rencontre de Custer, un grand sourire aux lèvres. Le chef soldat ne daigna pas serrer la main qu’il lui tendait.
Satanta, qui avait suffisamment fréquenté les forts du Kansas pour connaître les préjugés des Blancs, retint sa rage. Il ne voulait pas que son peuple soit détruit comme l’avait été celui de Black Kettle. Les discussions commencèrent dans une ambiance glacée, avec deux interprètes. Comprenant que ceux-ci savaient encore moins la langue kiowa que lui l’anglais, Satanta fit appel à l’un de ses guerriers, Walking Bird, qui avait acquis auprès des conducteurs de chariots un vocabulaire fort étendu. Tout fier, Walking Bird s’adressa à Custer, qui fit signe qu’il ne comprenait pas son accent kiowa. Alors, Walking Bird s’approcha de lui et, lui caressant le bras comme il avait vu les soldats caresser leurs chevaux, lui dit : « Toi très beaucoup gentil fils de pute, très beaucoup fils de pute. »
Cela ne fit rire personne. Les interprètes parvinrent enfin à faire comprendre à Satanta et Lone Wolf qu’ils devaient venir avec leurs bandes de Kiowas à Fort Cobb s’ils ne voulaient pas être massacrés par les soldats de Custer. C’est alors que, en violation du traité, Custer ordonna brusquement que les chefs et leur escorte soient arrêtés, emmenés à Fort Cobb et retenus prisonniers jusqu’à ce que leur peuple les rejoigne. Après avoir écouté cette déclaration sans broncher, Satanta expliqua qu’il devait faire prévenir les siens. Mais au lieu de leur ordonner de venir à Fort Cobb, il leur dit par l’intermédiaire de son fils de fuir vers les régions de l’ouest où passaient les bisons.
La colonne de Custer prit le chemin de Fort Cobb avec ses captifs. Comme chaque nuit des Kiowas s’échappaient, il ne resta plus aux Tuniques Bleues à leur arrivée à Fort Cobb que deux prisonniers – Satanta et Lone Wolf, surveillés étroitement. Furieux, le général Sheridan déclara que les chefs seraient pendus si leur peuple ne venait pas faire sa reddition.
C’est ainsi que, à cause de la fourberie et de la traîtrise des Blancs, la plupart des Kiowas furent contraints de renoncer à leur liberté. Seul Woman’s Heart, un chef de second rang, et sa bande s’échappèrent pour retrouver dans les Staked Plains (37) leurs amis comanches kwahadis.
Afin de pouvoir surveiller les activités des Kiowas et des Comanches, l’armée fit construire une nouvelle ville de garnison baptisée Fort Sill à quelques kilomètres au nord de la frontière marquée par la Red River. Le général Benjamin Grierson, héros de la guerre civile, fut placé à la tête des troupes, en majorité des soldats noirs du 10 e de cavalerie – les Buffalo Soldiers, les Soldats Bisons, comme les appelaient les Indiens à cause de leurs cheveux et de la couleur de leur peau. Un agent au crâne lisse débarqua de l’Est pour apprendre aux Kiowas et aux Comanches à vivre de l’agriculture plutôt que de la chasse au bison.
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