Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
dépasserai pas cet arbre », cria-t-il en kiowa avant de se couvrir la tête avec sa couverture. Ainsi caché, il se libéra les mains en arrachant sa propre chair, puis prit un couteau qu’il avait dissimulé dans ses vêtements. Avec un hurlement de désespoir, il bondit sur le garde le plus proche, le poignarda et le jeta hors du chariot. Alors, il saisit la carabine de l’un des autres soldats qui observaient la scène, médusés. Depuis l’extérieur du chariot, un lieutenant ordonna de tirer. Une rafale faucha le vieux Satank. L’escorte dut patienter une heure, le temps qu’il lui fallut pour mourir. Les soldats jetèrent son corps dans un fossé avant de poursuivre leur voyage jusqu’au Texas.
Le procès pour meurtre de Satanta et Big Tree s’ouvrit le 5 juillet 1871 au tribunal de Jacksboro (Texas). Le jury, composé de propriétaires de ranchs et de cow-boys arborant leurs pistolets à leur ceinturon, écouta les témoins pendant trois jours, puis s’empressa de déclarer coupables les deux Indiens. Le juge les condamna à la pendaison. Toutefois, le gouverneur du Texas, averti que les exécutions risquaient de provoquer une guerre avec les Kiowas, commua la sentence en prison à vie au pénitencier de Huntsville.
À présent, les Kiowas avaient perdu leurs trois chefs les plus puissants. Au cours de l’automne, nombreux furent les jeunes braves qui quittèrent discrètement leur bande pour aller rejoindre un groupe d’indiens qui suivaient les troupeaux de bisons entre la Red River et la Canadian sans jamais s’aventurer en dehors des Staked Plains ni s’approcher des chasseurs et des fermiers blancs, continuant ainsi à vivre libres, comme autrefois. À la Lune-où-les-oies-partent, ce groupe établit son campement d’hiver dans le canyon de Palo Duro. Dominé par les Comanches Kwahadis, il réserva néanmoins un bon accueil au nombre croissant de Kiowas qui venaient les retrouver.
Lone Wolfe, qui avait déjà chassé avec les Kwahadis, envisagea très certainement de les rejoindre, mais début 1872 il était engagé dans une lutte avec Kicking Bird au sujet des choix que devaient faire les Kiowas. Kicking Bird et Stumbling Bear disaient qu’il fallait adopter les us de l’homme blanc, même si cela signifiait l’abandon de la chasse au bison au Texas. Mais de cela, Lone Wolf ne voulait pas entendre parler. Les Kiowas ne pouvaient pas vivre sans chasser le bison. Si les Blancs s’entêtaient à exiger que les Indiens ne chassent que dans les limites de la réserve, alors qu’ils étendent celle-ci du Rio Grande au Missouri !
Il devint évident que les arguments vigoureux de Lone Wolf lui valaient un soutien fervent. Ce fut lui, et non Kicking Bird et Stumbling Bear, que les Kiowas choisirent pour les représenter lors d’une mission à Washington. En effet, en août, le Bureau des Affaires indiennes avait invité des délégations de toutes les tribus dissidentes du territoire à venir discuter à Washington des obligations définies par les traités.
Lorsque Henry Alvord, le représentant du gouvernement spécialement chargé de conduire la délégation kiowa à Washington, arriva à Fort Sill, Lone Wolf l’informa qu’il ne pourrait pas venir tant qu’il n’aurait pas consulté Satanta et Big Tree, lesquels, bien qu’enfermés dans un pénitencier au Texas, n’en restaient pas moins les chefs de la tribu. Ainsi, leur avis était indispensable avant de prendre une quelconque décision à Washington.
Alvord, tout d’abord incrédule, finit par comprendre que Lone Wolf ne plaisantait pas. Il entreprit alors de laborieuses démarches pour obtenir une rencontre avec les chefs emprisonnés. Le gouverneur du Texas accepta avec une certaine réticence de confier – temporairement – ses célèbres prisonniers à l’armée américaine. Le 9 septembre 1872, à Dallas, les chefs menottés furent remis à un commandant de cavalerie plutôt inquiet qui fit alors route vers Fort Sill, suivi tout le long du chemin par des groupes de Texans armés impatients de s’attirer la gloire en tuant Satanta et Big Tree.
À l’approche de la caravane, le commandant de Fort Sill, en proie à la plus grande agitation, envoya un éclaireur civil prévenir que la remise des prisonniers se ferait ailleurs. « Les Indiens du coin, ceux qui vivent sur la réserve de Fort Sill ou à proximité (…) ont l’air sombres, mauvais et belliqueux. (…) Il me semble pratiquement impossible de
Weitere Kostenlose Bücher