Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
soldats après l’assassinat de Sitting Bull, si forts étaient leur chagrin et leur colère. Mais leur conviction que les Blancs ne tarderaient pas à disparaître et que leurs parents et amis morts reviendraient au printemps était telle qu’ils n’entreprirent pas de représailles. Par contre, ce fut par centaines que les Hunkpapas, désormais privés de chef, s’enfuirent de Standing Rock pour trouver refuge dans les campements des adeptes de la danse des Esprits, ou à Pine Ridge, auprès de Red Cloud, le dernier de leurs grands chefs. Le 17 décembre, à la Lune-où-les-Cerfs-perdent-leurs-bois, ils furent ainsi une centaine à rejoindre le village miniconjou de Big Foot, au bord de Cherry Creek. Le même jour, le Département de la Guerre ordonna que Big Foot soit arrêté et jeté en prison. Il figurait en effet sur la liste des « fauteurs de troubles ».
Dès que Big Foot apprit la mort de Sitting Bull, il partit pour Pine Ridge avec les siens, dans l’espoir que Red Cloud les protégerait des soldats. Sur le chemin, il contracta une pneumonie et dut terminer le voyage en chariot. Le 28 décembre, les Miniconjous, arrivés à proximité de Porcupine Creek, repérèrent quatre escadrons de cavalerie. Big Foot ordonna immédiatement de hisser un drapeau blanc au-dessus de son chariot. Et ce fut sur sa couche que, à moitié redressé, il accueillit le chef d’escadron Samuel Whitside, du 7 e de cavalerie, vers deux heures de l’après-midi. Ses couvertures étaient tachées du sang qu’il avait craché et lorsqu’il voulut parler à l’officier, sa voix n’était qu’un souffle rauque. Le froid faisait geler les gouttes de sang qui coulaient de son nez.
Whitside l’informa qu’il avait pour ordre de l’emmener dans un camp de l’armée au bord d’un cours d’eau qu’on appelait Wounded Knee Creek. Le chef miniconjou répondit qu’il n’allait pas dans cette direction, car il emmenait son peuple à Pine Ridge pour le mettre à l’abri.
Le chef d’escadron se tourna alors vers son éclaireur métis, John Shangreau, et lui ordonna de désarmer les Indiens.
« Écoutez-moi bien, chef, répliqua Shangreau, si vous faites ça, les choses vont très certainement mal tourner, ce qui veut dire que vous allez devoir tuer toutes ces femmes avec leurs enfants et que les hommes s’échapperont. »
Whitside répéta qu’il avait ordre de capturer les Miniconjous et de saisir leurs armes et leurs montures.
« Vous feriez mieux de les emmener au camp et de leur prendre leurs chevaux et leurs armes là-bas, lui conseilla son éclaireur.
— Fort bien, répondit le chef d’escadron. Dis à Big Foot qu’il s’installera à Wounded Knee. »
Puis, après avoir jeté un coup d’œil au chef alité, il ordonna que l’on fasse avancer l’ambulance, afin que Big Foot puisse voyager au chaud et plus confortablement que dans un chariot cahotant. Une fois le malade installé, Whitside fit avancer la colonne en direction de Wounded Knee. Deux escadrons de cavalerie chevauchaient en tête, suivis de l’ambulance et des chariots. Les Indiens étaient regroupés derrière, tandis que les deux autres pelotons fermaient la marche avec une batterie de deux canons Hotchkiss.
Le jour tombait lorsque la colonne, après avoir péniblement gravi la dernière côte, redescendit sur Chankpe Opi Wakpala – Wounded Knee. Le crépuscule hivernal et les minuscules cristaux de glace qui dansaient dans la lumière mourante donnaient au paysage sombre un aspect surnaturel. Quelque part au bord de ce cours d’eau gelé, dans un lieu secret, reposait le cœur de Crazy Horse. Son esprit désincarné n’attendait que le moment où une nouvelle terre apparaîtrait avec la première herbe verte du printemps – du moins c’était ce que croyaient les adeptes de la danse des Esprits.
Les Indiens furent comptés au campement militaire de Wounded Knee. Il y avait là cent vingt hommes et deux cent trente femmes et enfants. À cause des ténèbres grandissantes, Whitside décida d’attendre le matin pour désarmer ses prisonniers. Il leur attribua un emplacement au sud du campement et leur distribua des rations et des tentes, puisqu’ils n’avaient pas assez de tipis. Il fit également placer un poêle près de Big Foot, au chevet duquel il envoya un médecin militaire. Pour s’assurer qu’aucun de ses prisonniers ne pourrait s’échapper, il posta deux escadrons de cavalerie autour des tipis sioux et
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