Essais sceptiques
les plus intelligents seront ennuyés d’entendre des explications de choses qu’ils comprennent clairement, et les plus stupides seront gênés parce qu’on considérera comme acquises des choses qu’ils n’ont pas encore saisies. Mais on devrait adapter les sujets et les méthodes à l’intelligence de l’élève. Macaulay devait apprendre les mathématiques à Cambridge, mais il est évident, d’après ses lettres, que ce fut une dépense de temps inutile. Moi, j’ai été forcé d’apprendre le latin et le grec, mais cela m’a irrité, car j’étais d’avis qu’il était bête d’apprendre une langue qu’on ne parlait plus. Je suis persuadé que tout le peu de bien que m’ont fait des années d’études classiques, j’aurai pu l’acquérir en un mois, comme adulte. Sauf pour un minimum indispensable, on devrait tenir compte des goûts et on ne devrait apprendre aux élèves que ce qu’ils trouvent intéressant. Cela exige un effort plus grand de la part des professeurs qui trouvent plus facile d’être stupides, surtout quand ils sont surmenés. Mais on peut surmonter ces difficultés en diminuant les heures de travail des professeurs et en les instruisant dans l’art d’enseigner, ce qu’on fait à présent en formant des professeurs d’écoles primaires, mais non des professeurs d’universités et d’écoles publiques.
La liberté dans l’éducation a plusieurs aspects. Il y a tout d’abord la liberté d’apprendre et de ne pas apprendre. Puis, il y a la liberté du choix de ce qu’il faut apprendre. Et à un stade plus avancé, il y a la liberté de l’opinion. On ne peut que partiellement concéder à l’enfance la liberté d’apprendre ou de ne pas apprendre. Il est nécessaire que tous ceux qui ne sont pas imbéciles apprennent à lire et à écrire. Jusqu’à quel point on peut y arriver en fournissant simplement l’opportunité, seule l’expérience peut nous le montrer. Mais même si la seule opportunité suffit, il faut l’imposer aux enfants. La plupart d’entre eux préféreraient jouer à l’air, là où les opportunités nécessaires manqueront. Plus tard, on pourrait, par exemple, laisser au choix des jeunes gens le fait de fréquenter l’université ; certains le voudront, certains autres ne le voudront pas. Cela ferait une sélection tout aussi bonne que celle qu’on obtient par des examens d’admission. On ne devrait permettre à personne qui ne travaille pas de rester à l’université. Les jeunes gens riches qui maintenant perdent leur temps à l’école supérieure démoralisent les autres et apprennent eux-mêmes à être inutiles. Si on exigeait un travail assidu comme condition de séjour à l’université, celle-ci cesserait d’être attrayante pour des gens qui n’ont pas le goût des recherches intellectuelles.
La liberté de l’objet à apprendre devrait être beaucoup plus grande qu’actuellement. Je pense qu’il est nécessaire de grouper les sujets selon leurs affinités naturelles ; il y a des désavantages sérieux dans le système éclectique qui permet à un jeune homme de choisir des sujets d’étude tout à fait sans liaison les uns avec les autres. Si j’étais chargé d’organiser l’éducation en Utopie et disposais de fonds illimités, je donnerais à chaque enfant, à l’âge d’environ douze ans, un peu d’instruction classique, mathématique et scientifique. Au bout de deux ans, la direction des aptitudes de l’enfant devrait apparaître clairement, et les goûts de l’enfant lui-même seraient une indication sûre, à condition qu’il n’y ait pas d’« options éclectiques ». Par conséquent, je permettrais à tout garçon et à toute fille de se spécialiser, s’ils le désirent, depuis l’âge de quatorze ans. Au début, la spécialisation devrait être très large, mais se limitant de plus en plus à mesure que l’éducation avancerait. Le temps où il fut possible d’être universellement informé est passé. Un homme laborieux peut connaître un peu d’histoire et de littérature, ce qui exige la connaissance des langues classiques et modernes. Ou bien, il peut connaître quelques parties de mathématiques, ou une ou deux sciences. Mais l’idéal d’une éducation « complète » est démodé ; il a été détruit par le progrès de la connaissance.
La liberté de l’opinion, chez les professeurs aussi bien que chez les élèves, est la plus importante de toutes les sortes de
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