Essais sceptiques
la force de l’habitude. Il y a eu un temps où il a formé ces habitudes, et, dans le choix du bureau du moins, la croyance a joué un rôle. Il croyait probablement à cette époque que la situation qu’on lui offrait dans ce bureau était aussi bonne que possible. Chez la plupart des hommes, la croyance joue un rôle dans le choix du métier, et par là, indirectement, dans tout ce que ce choix implique.
Au bureau, s’il est subalterne, il peut continuer à agir purement par habitude, sans une volition active et sans l’intervention explicite d’une croyance. On pourrait penser qu’en additionnant des colonnes de chiffres, il
croit
aux règles mathématiques qu’il applique. Mais ce serait une erreur ; ces règles ne sont que des habitudes de son corps, comme chez un joueur de tennis. Il les a acquises dans sa jeunesse, non selon la croyance intellectuelle qu’elles correspondent à la vérité, mais pour plaire au maître d’école, tout comme un chien apprend à se dresser sur ses pattes de derrière et à demander sa nourriture. Je ne dis pas que toute éducation est conforme à ce genre, mais certainement la plus grande partie de ce qu’on apprend aux écoles publiques.
Si pourtant notre homme est associé ou directeur, il peut être obligé, durant sa journée, de prendre des décisions pour des affaires difficiles. Il est probable que, dans ces décisions, la croyance jouera un certain rôle. Il croit que certaines choses vont monter, d’autres baisser, qu’un tel est solvable, que tel autre est au bord de la faillite. Il agit selon ces croyances. C’est uniquement parce qu’il est obligé d’agir selon des croyances plutôt que par pure habitude qu’il est considéré comme un homme tellement plus important qu’un simple commis et qu’il est en mesure de gagner tellement plus d’argent – à condition que ses croyances soient justes.
Dans son intérieur, il aura à peu près la même proportion d’occasions d’appliquer ses croyances à l’action. En temps ordinaire, sa conduite envers sa femme et ses enfants sera gouvernée par l’habitude ou par l’instinct modifié par l’habitude. Dans les grandes occasions, quand il demande une femme en mariage, quand il doit décider dans quelle école il enverra son fils ou quand il trouve des raisons de soupçonner sa femme d’infidélité, il ne peut pas être entièrement guidé par l’habitude. En demandant une femme en mariage, il peut être uniquement guidé par l’instinct ou encore être influencé par la croyance que la dame est riche. S’il est guidé par l’instinct, il croit sans aucun doute que la dame possède toutes les vertus, et cela peut lui sembler être la cause de son action, mais ce n’est en réalité qu’un autre effet de l’instinct qui puisse suffire à l’expliquer. En choisissant une école pour son fils, il procède probablement de la même manière qu’en prenant des décisions d’affaires difficiles ; dans ce cas, la croyance joue ordinairement un rôle important. S’il a des témoignages lui prouvant que sa femme lui a été infidèle, il est probable que sa conduite sera uniquement instinctive, mais l’instinct est mis en mouvement par une croyance, qui est la cause première de tout ce qui s’ensuit.
Ainsi, bien que les croyances n’influencent pas directement la plus grande partie de nos actions, celles qu’elles influencent appartiennent aux plus importantes et déterminent la structure générale de notre vie. En particulier, nos actions religieuses et politiques sont liées à des croyances.
J’arrive maintenant à la seconde question qui elle-même se subdivise en deux autres :
a)
jusqu’à quel point des croyances sont-elles réellement basées sur des faits prouvés ?, et
b)
jusqu’à quel point est-il possible ou désirable qu’elles le soient ?
a)
Il y a beaucoup moins de croyances fondées sur des faits prouvés que ne le supposent les croyants. Prenons le genre d’action qui s’approche le plus d’une action raisonnable : l’investissement de l’argent par un homme riche de la Cité. Vous découvrirez souvent que, par exemple, son opinion sur la prochaine hausse ou baisse du franc dépend de ses sympathies politiques, et pourtant il est si convaincu qu’il est prêt à risquer de l’argent. Dans les faillites, on trouve souvent que la cause primitive de la ruine est d’ordre sentimental. Des opinions politiques sont rarement fondées sur des faits établis,
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