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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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sauf en ce qui concerne les fonctionnaires qui n’ont pas le droit de les exprimer. Ce sont naturellement des exceptions. Dans la discussion sur la réforme des taxes douanières, qui a commencé il y a vingt-cinq ans, la plupart des fabricants, soutenaient le projet qui aurait augmenté leurs propres revenus tout en montrant que leur opinion était basée sur des faits objectifs ; et pourtant rien de ce qu’ils disaient n’aurait pu le faire supposer. Ici, nous avons une complication. Les Freudiens nous ont familiarisés au « rationalisant », c’est-à-dire un processus d’invention d’arguments qui nous semblent objectifs pour soutenir une opinion, et qui, en réalité, sont tout à fait irrationnels. Mais il existe, surtout dans les pays anglo-saxons, un processus inverse qu’on pourrait nommer « irrationalisant ». Un homme adroit résumera les « pour » et les « contre » d’une question qui l’intéresse, d’un point de vue égoïste, plus ou moins inconsciemment (des arguments altruistes pèsent rarement dans l’inconscience d’un homme, sauf quand ses propres enfants sont en jeu). Après avoir pris une saine décision égoïste à l’aide de l’inconscient, l’homme se met à inventer ou à emprunter chez d’autres une série de phrases grandiloquentes pour prouver qu’il ne pense qu’au bien public et accomplit un grand sacrifice personnel. Celui qui croit que ses phrases reproduisent ses raisons véritables doit le considérer comme complètement incapable de juger objectivement, puisque le prétendu bien public ne résultera pas de son action. Dans de tels cas, un homme semble moins raisonnable qu’il ne l’est en réalité ; et, ce qui est encore plus curieux, c’est que sa partie irrationnelle est consciente, tandis que sa partie rationnelle est inconsciente. C’est ce trait de notre caractère qui a assuré tant de succès aux Anglais et aux Américains.
    La sagacité, quand elle est authentique, appartient plutôt à la partie inconsciente que consciente de notre nature. J’imagine qu’elle est la principale qualité requise pour avoir des succès en affaires. Du point de vue moral, ce n’est qu’une humble qualité, puisqu’elle est toujours égoïste ; pourtant elle suffit à empêcher les pires crimes. Si les Allemands la possédaient, ils ne se seraient pas décidés à faire la guerre sous-marine sans merci. Si les Français la possédaient, ils ne se seraient pas conduits comme ils l’ont fait dans la Ruhr. Si Napoléon l’avait possédée, il ne se serait pas aventuré dans une nouvelle guerre, après le Traité d’Amiens. On peut admettre en règle générale, et à peu d’exceptions près, que les hommes, lorsqu’ils se trompent sur leur intérêt véritable, font plus de mal aux autres en adoptant la manière d’agir qui leur semble sage que s’ils agissaient d’une manière vraiment sage. C’est pourquoi, tout ce qui rend les gens meilleurs juges de leur propre intérêt fait du bien. Il y a des exemples innombrables d’hommes qui ont fait fortune parce que, pour des raisons morales, ils ont fait des choses qu’ils croyaient contraires à leurs propres intérêts. Ainsi, par exemple, parmi les premiers Quakers, un certain nombre de commerçants ont adopté la coutume de ne jamais demander plus d’argent pour leurs marchandises qu’ils n’étaient décidés d’en accepter, au lieu de marchander avec chaque client selon la coutume générale. Ils ont adopté cette pratique, parce qu’ils considéraient comme un mensonge de demander plus qu’ils ne prendraient. Mais cet usage plut tellement aux clients que tout le monde vint acheter chez eux et qu’ils s’enrichirent. (Je ne me rappelle plus où je l’ai lu, mais si ma mémoire est fidèle, la source était digne de confiance). La même politique
aurait pu
être adoptée par calcul, mais en réalité personne n’était assez sagace pour cela. Notre inconscience est plus malveillante qu’elle ne prétend l’être ; c’est pourquoi les gens qui agissent le plus complètement pour servir leurs propres intérêts sont justement ceux qui, consciemment, pour des raisons morales, font ce qu’ils croient être contraire à leurs intérêts. Après eux viennent les gens qui essaient de trouver par la pensée rationnelle et consciente ce qui correspond à leur propre intérêt, éliminant autant que possible l’influence des passions. En troisième lieu viennent les gens qui ont une

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