Essais sceptiques
qui est encore plus terrible que la condamnation morale : la menace du ridicule. Il commence par prouver que les êtres humains n’agissent jamais mécaniquement, pour affirmer ensuite dans son livre sur
le Rire
, que ce qui nous fait rire, c’est de voir une personne se conduire mécaniquement, c’est-à-dire que vous êtes ridicule quand vous faites quelque chose qui prouve la fausseté de la philosophie bergsonienne, et alors seulement. J’espère que ces exemples montrent suffisamment qu’une métaphysique ne peut jamais avoir de conséquences éthiques qu’en vertu de sa fausseté ; si elle était vraie, les actes qu’elle définit comme péchés ne seraient jamais possibles.
En appliquant cette remarque au behaviourisme, j’en déduis que si, et dans la mesure où il a des conséquences éthiques, il doit être faux ; et inversement, s’il est vrai, il ne peut avoir aucune influence sur notre conduite. En appliquant ce critère au behaviourisme populaire (et non à sa forme strictement scientifique), j’y trouve plusieurs preuves de fausseté. Tout d’abord, presque tous ses fidèles perdraient toute confiance en lui s’ils pensaient qu’il n’a pas de conséquences éthiques. Maintenant, il est nécessaire de faire la distinction suivante : une doctrine vraie peut avoir des conséquences
pratiques
, bien qu’elle ne puisse pas avoir de conséquences
éthiques.
Quand vous essayez d’obtenir des objets d’un automate au moyen d’un jeton, alors qu’il ne fonctionne qu’avec deux jetons, la vérité a une conséquence au moins
pratique :
que vous devez ajouter un autre jeton. Mais personne n’appellerait une telle conséquence « éthique » ; elle ne concerne que la manière de réaliser vos désirs. De même le behaviourisme, tel qu’il est exposé dans l’ouvrage de Watson de ce nom, a certainement toutes sortes d’importantes conséquences pratiques, en particulier pour l’éducation. Si vous désirez qu’un enfant se comporte d’une certaine manière, il sera souvent sage de suivre les conseils de Watson plutôt que ceux (par exemple) de Freud. Mais c’est là une question scientifique et non éthique ; l’éthique n’entre en jeu que lorsqu’on dit que l’action doit avoir certaines fins, ou qu’on peut classer certaines actions comme bonnes et comme mauvaises indépendamment de leurs conséquences.
J’estime que le behaviouriste tend (d’ailleurs illogiquement) à se créer une éthique dans le vrai sens de ce mot. Il semble qu’il raisonne ainsi : puisque la seule chose que nous puissions faire est de pousser la matière à se mouvoir, nous devrions mouvoir autant de matière que possible ; par conséquent, l’art et la pensée n’ont de valeur que dans la mesure où ils contribuent au mouvement de la matière. Pourtant, ce critère est trop métaphysique pour la vie quotidienne ; le critère pratique est le revenu. Prenez le passage suivant de Watson :
« Pour moi, un des éléments les plus importants pour juger la personnalité, le caractère et le talent de quelqu’un se trouve dans l’histoire de ses acquisitions annuelles. Nous pouvons les mesurer objectivement par la longueur de temps que l’individu donné occupait diverses situations et par l’augmentation annuelle de ses revenus… S’il s’agit d’un écrivain, nous devrions tracer la courbe des prix qu’il touche pour ses nouvelles, année par année. Si nos revues principales lui paient le même prix moyen par mot à l’âge de trente ans que lorsqu’il en avait vingt-quatre, il y a toute probabilité qu’il n’est qu’un manœuvre littéraire et qu’il ne sera jamais autre chose. »
Si nous appliquons ce critère à Bouddha, Jésus, Mahomet, Milton et Blake, nous verrons qu’il implique un rajustement curieux de notre manière d’évaluer les personnes. En plus des points déjà mentionnés, deux autres maximes éthiques découlent de ce passage. La première est que la perfection est facilement mesurable, la seconde qu’elle consiste dans la conformité à la loi. Ce sont deux conséquences naturelles d’une tentative de déduire une éthique d’un système basé sur la physique. Pour ma part, je ne puis accepter l’éthique que propose ce passage de Watson. Je ne peux pas croire que la vertu est proportionnelle au revenu, ni qu’il est mauvais moralement d’avoir des difficultés à s’adapter au troupeau. Nul doute que mes opinions sur ce sujet ne soient
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