Essais sceptiques
tendancieuses puisque je suis pauvre et bizarre ; mais bien que je reconnaisse ce fait, elles demeurent tout de même mes opinions.
J’examinerai maintenant un autre aspect du behaviourisme : ses conceptions sur l’éducation. Je ne peux pas citer ici Watson dont les opinions sur ce sujet, dans la mesure où elles apparaissent dans ses œuvres, me semblent excellentes. Mais il ne s’occupe pas des parties plus avancées de l’éducation, et c’est là que mes doutes sont les plus forts. Je prendrai un livre qui, bien que non explicitement behaviouriste, s’inspire en réalité de conceptions apparentées au behaviourisme. C’est
The Child : His Nature and His Needs
(11) . J’ai le plus grand respect pour les idées générales de ce livre, car sa psychologie est admirable ; mais son éthique et son esthétique me semblent prêter davantage à la critique. Pour illustrer ses défauts esthétiques, je citerai le passage suivant :
« Il y a vingt-cinq ans, les élèves apprenaient à orthographier de dix à quinze mille mots ; mais des investigations conduites durant les deux dernières décennies, il résulte que le diplômé ordinaire d’une école supérieure n’a pas besoin dans son travail d’école, et n’aura besoin plus tard dans sa vie que de l’orthographe de trois mille mots tout au plus, à moins qu’il n’entreprenne des études techniques spéciales qui l’obligeraient d’apprendre un vocabulaire technique spécial. L’Américain typique, dans sa correspondance et dans ce qu’il écrit pour le journal, emploie rarement plus de quinze cents mots différents ; beaucoup d’entre nous n’emploient jamais plus de la moitié de ce nombre. S’inspirant de ces faits, les cours d’orthographe en usage aux écoles modernes sont basés sur ce principe qu’il faut arriver à connaître si bien les mots qu’on emploiera réellement dans la vie quotidienne qu’on puisse les orthographier automatiquement ; quant aux mots techniques et rares qu’on apprenait autrefois et qui probablement ne seront jamais employés, on les élimine. Les cours d’orthographe modernes ne conservent pas un seul des mots qui semblaient utiles simplement à développer la mémoire. »
La dernière phrase de ce texte contient une remarque psychologique parfaitement juste qui réfute un ancien argument en faveur de l’éducation de la mémoire. Le fait de retenir ne développe pas la mémoire ; c’est pourquoi il ne faut rien apprendre par cœur, sauf s’il s’agit de quelque chose qu’il faut se rappeler. Cela étant reconnu, examinons maintenant les autres affirmations impliquées dans ce passage.
Tout d’abord, il n’y a aucune nécessité de connaître l’orthographe de n’importe quel mot. Shakespeare et Milton ne connaissaient pas l’orthographe ; Marie Corelli et Alfred Austen la connaissaient. On croit que l’orthographe est une bonne chose, en partie par snobisme en tant que manière facile de distinguer les hommes « instruits » des « non instruits » ; en partie, pour la domination du troupeau, comme avec les vêtements corrects ; en partie, parce que l’adorateur de la loi naturelle éprouve de la peine dans le spectacle de n’importe quelle sphère où il reste encore un peu de liberté individuelle. Si l’on croit que du moins les écrits imprimés doivent avoir une orthographe conventionnelle, il est toujours possible d’y pourvoir par des lecteurs employés spécialement dans ce but.
D’autre part, la langue écrite, sauf en Chine, représente la langue parlée dans laquelle réside toute la vertu esthétique de la littérature. Aux époques où les hommes sentaient que la langue pouvait et devait être belle, ils se désintéressaient de l’orthographe, mais soignaient leur prononciation. De nos jours, même des personnes possédant une éducation supérieure ne savent prononcer que les mots les plus communs, et sont par conséquent incapables de réciter de la poésie. Exception faite des étudiants de littérature, nous trouverons à peine une personne sur quarante en Amérique capable de scander :
Scattering unbeholden
Its aerial hue…
Au lieu d’apprendre l’orthographe aux enfants, on devrait leur apprendre à lire à haute voix, si l’on donnait la moindre place aux considérations esthétiques dans l’éducation. Autrefois, les pères de famille lisaient la Bible à haute voix, ce qui était un exercice admirable de prononciation ; mais de nos
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