Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
Vom Netzwerk:
vie, à la liberté et à la recherche du bonheur » et qui comprennent ces choses plus ou moins comme les comprenaient les Américains de la guerre de l’Indépendance. Et je pense qu’il aurait vite fait de devenir Président de la République chinoise.
    La civilisation occidentale s’étend sur les deux Amériques, sur l’Europe à l’exclusion de la Russie, et sur les Dominions britanniques. Dans cette civilisation, les États-Unis sont à l’avant-garde ; tous les traits caractéristiques qui distinguent l’Occident et l’Orient sont le plus marqués et le plus développés en Amérique. Nous sommes accoutumés de prendre le progrès comme une réalité ; nous reconnaissons sans hésiter que les changements survenus durant les dernières cent années furent indubitablement pour un « mieux » et que d’autres changements pour le « mieux » suivront indéfiniment. Sur le continent européen, la Guerre et ses conséquences donnèrent un rude coup à cette croyance naïve, et les hommes se mirent à regarder l’époque d’avant 1914 comme un âge d’or qui ne reviendrait plus pendant des siècles. En Angleterre, le choc infligé à l’optimisme fut bien moindre, et moindre encore en Amérique. Pour ceux d’entre nous qui étaient habitués à considérer le progrès comme une chose acquise, il est spécialement intéressant de visiter un pays comme la Chine qui est actuellement à la phase que nous traversions il y a cent cinquante ans et de nous demander si, à tout peser, les changements survenus chez nous apportèrent une amélioration réelle.
    La civilisation de la Chine est, comme chacun le sait, basée sur l’enseignement de Confucius qui florissait cinq cent ans avant Jésus-Christ. Comme les Grecs ou les Romains, il ne considéra pas la société humaine comme naturellement progressive ; au contraire, il crut que dans la haute antiquité les gouvernants avaient été sages et que le peuple avait été heureux à un degré que ses contemporains dégénérés pouvaient admirer, mais difficilement réaliser. Bien entendu, cela était une illusion. Mais le résultat de cette illusion fut que Confucius, comme les autres maîtres de l’antiquité, eut pour but de créer une société stable qui devait maintenir un certain niveau de perfection, mais ne cherchant pas toujours à obtenir de nouveaux succès. Il réussit mieux que n’importe quel autre homme qui ait jamais vécu. Sa personnalité marqua la civilisation chinoise depuis son époque jusqu’à la nôtre. De son vivant, les Chinois n’occupaient qu’une petite partie de la Chine actuelle et étaient divisés entre un certain nombre d’états guerroyants. Pendant les trois siècles qui suivirent, ils s’établirent dans le pays qui est maintenant la Chine et fondèrent un empire dépassant par son territoire et sa population n’importe quel autre qui ait existé jusqu’à il y a cinquante ans. Malgré des invasions barbares, malgré les dynasties mongoles et mandchoues, et des périodes plus ou moins longues de désordre et de guerre civile, la doctrine de Confucius survécut apportant avec elle l’art, la littérature et une manière civilisée de vivre. Ce n’est que de nos jours, par le contact avec l’Occident et le Japon occidentalisé, que cette doctrine commence à s’écrouler.
    Une doctrine qui fit preuve d’une aussi extraordinaire vitalité doit avoir de grands mérites et est certainement digne de notre respect et de notre examen. Ce n’est pas une religion dans le sens où nous entendons ce mot, car elle n’est pas liée à des croyances mystiques ou surnaturelles. C’est une doctrine purement éthique. Mais, différant par là du christianisme, son éthique n’est pas trop inaccessible pour être mise en pratique par des hommes ordinaires. Dans son essence, l’enseignement de Confucius est quelque chose de très analogue à l’idéal démodé du « gentleman » tel qu’il existait au XVIII e  siècle. Une de ses maximes peut illustrer ce que je viens de dire (je cite d’après les
Paroles de Confucius
par Lionel Giles) :
    « Le vrai gentleman n’est jamais querelleur. Si l’esprit de rivalité est inévitable, c’est certainement pendant un concours de tir. Mais même alors, il salue courtoisement ses adversaires avant d’occuper sa place et il les salue de nouveau, quand, ayant perdu, il se retire pour boire la coupe de forfait. Ainsi, même en rivalisant, il demeure un vrai

Weitere Kostenlose Bücher