Essais sceptiques
Apparemment, il n’est venu à l’esprit de personne qu’un « bon Américain », tout comme un « bon Allemand » ou un « bon Japonais », doit être,
pro tanto
, un mauvais être humain. Un « bon Américain » est un homme (ou une femme) imbu de la croyance que l’Amérique est le meilleur des pays du monde et qu’on doit toujours la soutenir avec enthousiasme dans toute querelle. Il est possible que toutes ces propositions soient vraies ; dans ce cas, un homme raisonnable ne les contredirait jamais. Mais si elles sont vraies, on devrait les enseigner partout, et non seulement en Amérique. Il est étrange de constater qu’on ne croit jamais à de telles affirmations en dehors du pays particulier qu’elles glorifient. Cependant toute la machine de l’État, dans tous ces pays, est montée de manière à faire accepter par des enfants sans défense des affirmations absurdes dont l’effet est de les rendre prêts à mourir pour la défense d’intérêts sinistres, tout en leur faisant croire qu’ils luttent pour la vérité et la justice. Cela n’est qu’une des manières innombrables par lesquelles l’éducation, au lieu de donner des connaissances vraies, plie les gens à la volonté de leurs maîtres. Dans les écoles primaires, sans un système élaboré de tromperies, il serait impossible de sauvegarder le camouflage de la démocratie.
Avant de quitter le thème de l’éducation, je prendrai un autre exemple emprunté à l’Amérique, non parce que l’Amérique est pire que d’autres pays, mais parce qu’elle est plus moderne et qu’elle montre plutôt les dangers qui grandissent que ceux qui diminuent. Dans l’État de New York, on ne peut fonder une école sans l’autorisation de l’État, même si l’école est entièrement fondée grâce à des fonds privés. Une loi récente décrète que l’autorisation ne sera pas accordée à des écoles « dans le cas où il sera clair que l’instruction qu’on se propose de donner comprend l’enseignement d’une doctrine qui prétend qu’on doit renverser les gouvernements organisés, par la force, la violence ou des moyens illégaux ». Ainsi que le souligne la
New Republic
, cette loi ne précise pas de quel gouvernement organisé il s’agit. C’est pourquoi, pendant la guerre, cette loi aurait établi qu’il était illégal de renverser par la violence le gouvernement du Kaiser, et plus tard de soutenir Koltchak ou Dénikine contre le gouvernement des Soviets. Il va de soi que ses conséquences n’étaient pas dans les intentions du législateur et sont dues uniquement à une mauvaise rédaction de la loi.
C’est dans une autre loi qui passa en même temps et qui concerne la nomination des professeurs dans les écoles gouvernementales que l’intention véritable apparaît. Cette loi prévoit qu’on ne délivrera pas de certificats permettant d’enseigner dans ces écoles à ceux qui ont défendu à quelque moment que ce soit « une forme de gouvernement autre que celle de cet État ou des États-Unis ». Le comité qui a forgé ces lois, dit la
New Republic
considère que le professeur qui n’approuve pas le système social actuel… doit résilier son poste » et qu’on « ne devrait confier à aucune personne qui n’est pas prête à combattre les théories préconisant des changements sociaux, la tâche d’enseigner les responsabilités du citoyen ». Ainsi, selon la loi de l’État de New York, le Christ et George Washington étaient trop dégradés moralement pour être aptes à enseigner. Si le Christ pouvait aller à New York et dire : « Laissez venir à moi les petits enfants », le président de
New York School Board
répondrait : « Monsieur, nous n’avons aucune preuve que vous soyez prêt à combattre les théories de transformation sociale. En vérité, j’ai entendu dire que vous préconisez le
royaume
du ciel, tandis que ce pays, Dieu merci, est une république. Il est évident que le gouvernement de votre royaume du ciel différerait matériellement de celui de l’État de New York : nous ne permettons donc pas que les enfants viennent à vous. » Et s’il n’avait pas fait cette réponse, il aurait manqué à son devoir de fonctionnaire chargé de l’exécution de la loi.
L’effet de telles lois est très sérieux. Admettons pour la commodité du raisonnement que le Gouvernement et le système social de l’État de New York soient les meilleurs qui aient jamais existé
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