Essais sceptiques
manière dont elle a été reçue. Einstein, un pacifiste allemand-suisse-juif, a été nommé professeur au début de la guerre par le gouvernement allemand ; une expédition anglaise qui a observé l’éclipsé de 1919, peu de temps après l’armistice, a vérifié l’exactitude de ses prévisions. Sa théorie bouleverse toute la base théorique de la physique traditionnelle, elle porte autant de dommage à la dynamique orthodoxe que Darwin à la
Genèse.
Pourtant les physiciens du monde entier se sont montrés complètement prêts à accepter sa théorie dès qu’il est apparu que les faits témoignaient en sa faveur. Mais personne d’entre eux et Einstein moins que tout autre, ne prétendait avoir dit le dernier mot. Il y a certaines difficultés qu’il ne peut pas résoudre ; ses doctrines devront être modifiées à leur tour, comme elles ont modifié celles de Newton. Cette réceptivité critique et non dogmatique est la véritable attitude de la science. Que serait-il arrivé si Einstein avait avancé quelque chose d’aussi nouveau dans le domaine de la religion ou de la politique ? Les Anglais auraient trouvé dans ses théories, des éléments de prussianisme ; les antisémites l’auraient considéré comme un complot sioniste, les nationalistes de tous pays l’auraient déclaré teinté de pacifisme bêlant et l’auraient proclamé un simple truc pour échapper au service militaire. Tous les professeurs aux idées traditionnelles auraient demandé à
Scotland Yard
d’interdire l’importation de ses écrits. On aurait renvoyé les professeurs qui se seraient déclarés en sa faveur. Lui, pendant ce temps-là aurait séduit le gouvernement de quelque pays arriéré où tout enseignement, sauf celui de sa doctrine, serait devenu illégal et sa doctrine elle-même se serait transformée en un dogme mystérieux et incompréhensible à tous. Finalement, la vérité ou la fausseté de sa théorie se serait décidée sur le champ de bataille, sans qu’on eût essayé de trouver de nouveaux arguments pour ou contre elle. Cette méthode est une conséquence logique de la « volonté de croire » de William James.
Ce qu’il faut, ce n’est pas la volonté de croire, mais la volonté de découvrir, qui est exactement le contraire.
Si on reconnaît le bien-fondé d’une condition de doute rationnel, il devient important de rechercher les causes de tant de certitude irrationnelle dans le monde. En grande partie, elle est due à l’irrationalité et à la crédulité inhérentes à la nature humaine moyenne. Mais ce germe du péché originel intellectuel est nourri et développé par d’autres facteurs, parmi lesquels trois jouent un rôle prépondérant, à savoir : l’éducation, la propagande et la pression économique. Examinons à part, chacun d’eux :
1°
L’éducation.
– L’éducation primaire, dans tous les pays avancés est entre les mains de l’État. Certaines des matières qu’on enseigne sont tenues pour fausses par les fonctionnaires qui les mettent au programme, et toute personne sans préjugés sait que beaucoup d’autres sont fausses, ou du moins très douteuses. Prenez, par exemple l’enseignement de l’histoire. Chaque nation ne tend qu’à se glorifier elle-même dans les manuels d’histoire destinés aux écoles. Quand un homme écrit son autobiographie, on s’attend de sa part à une certaine modestie ; mais quand une nation écrit son autobiographie, il n’y a pas de bornes à sa vanité et à sa vantardise. Quand j’étais jeune, les manuels enseignaient que les Français étaient vicieux et les Allemands vertueux ; actuellement, ils enseignent le contraire. Dans les deux cas, on ne tient nul compte de la vérité. Les manuels allemands en traitant de la bataille de Waterloo représentent Wellington comme presque battu quand Blücher est arrivé ; les livres anglais représentant l’arrivée de Blücher comme de peu d’importance. Les auteurs des livres anglais et allemands savent qu’ils ne disent pas la vérité ni les uns ni les autres. Les manuels américains étaient très violemment anti-britanniques avant la guerre ; depuis la guerre, ils sont devenus violemment pro-britanniques ; dans les deux cas, ils ne cherchent pas à établir la vérité (18) .
Avant aussi bien qu’après, un des buts principaux de l’éducation aux États-Unis est de transformer la collection disparate des enfants d’immigrés en « bons Américains ».
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