Et Dieu donnera la victoire
bredouilla-t-elle, je ne puis rien vous promettre. Il faut d’abord que j’en informe mes frères.
– C’est fait, je viens de le leur dire ! s’écria Jacques.
– Je pensais, dit Jeannette, à mes frères du Paradis...
Le projet du père l’a heurtée de plein fouet et laissée pantelante.
De même que ses compagnes, notamment Hauviette, plus âgée qu’elle de deux ans et qui ne va pas tarder à convoler, elle a senti les premiers frémissements de la chair. La présence, les regards, les propos de leurs compagnons de jeux ont éveillé en elle une chaleur qu’elle s’attache à ignorer. Lorsque l’un d’eux la serre de trop près, elle se dérobe et le rabroue ; elle a même giflé l’un de ces garnements venu poser ses mains sur ses yeux parderrière alors qu’elle priait, seule, près de la fontaine.
Les filles parlent librement de leurs amours, des inconvénients de la puberté, des avantages du mariage. Elle se tait comme si elles évoquaient une condition qui dût lui être à jamais étrangère. Elle en vient à croire que sa nature échappe aux lois communes.
La décision prise par son père n’a rien, à la réflexion, que de très logique, mais elle lui oppose un bloc de refus qu’elle a du mal à s’expliquer. Ce jeune homme que le père lui a présenté ne lui apparaît pas comme un adversaire dont elle pût redouter les avances : il semble froid, guindé au premier abord, campé dans son aura de procureur. Elle ne peut nier pourtant qu’il n’a rien a priori pour lui déplaire et que, si elle avait senti en elle quelque disposition pour le mariage, elle l’eût agréé. Mais voilà : le rejet qu’elle lui oppose est issu d’une partie de son être qu’elle ne domine pas.
Quand elle songe à maître Thierry, son esprit répond « oui » et son âme « non ».
La nouvelle s’était répandue dans Neufchâteau comme un trait de foudre : le capitaine Robert de Baudricourt, commandant de la forteresse, venait de se rendre à Antoine de Vergy.
Lorsque les troupes ennemies avaient investi Vaucouleurs, à environ six lieues de Neufchâteau, Baudricourt s’était dit que toute résistance serait dangereuse et inutile : il avait en face de sa modeste garnison une armée dotée d’un matériel de siège qui ne lui laissait guère de chance de s’en tirer à bon compte. Il avait écouté tête basse les hérauts que Vergy lui envoyait en vue de le faire céder et, réprimant l’envie qu’il avait de les jeter en prison, il avait demandé à réfléchir et avait fini par consentir à une capitulation conditionnelle : s’il ne recevait pas de secours dans un délai de six mois, Vaucouleurs et le sud du Barrois passeraient aux Bourguignons.
L’exode des habitants de Domrémy, de Greux et des paroisses environnantes reprit, mais en sens inverse.
L’armée d’Antoine de Vergy avait laissé sur son passage des maisons brûlées et des récoltes piétinées ou incendiées. À Domrémy, l’église n’avait pas été épargnée et le vieux curé n’avait rien pu faire pour lui éviter le feu. Quelques maisons et des granges avaient subi le même sort. Malgré tout, on s’en tirait à bon compte : il n’y avait aucune victime à signaler. On allait retrousser ses manches, couper dans la forêt le bois des charpentes et reconstruire ce qui avait été détruit.
Après cette longue absence, Jacques et ses deux aînés retrouvèrent leur vigne envahie par la mauvaise herbe à la suite de passages de pluie. Ils entreprirent le sarclage avec d’autant plus d’ardeur que les vendanges promettaient d’être abondantes.
Au début du mois d’août, après un jeûne prolongé, Jeanne éprouva les symptômes familiers : des vertiges, une sorte de dissolution de ses organes, un accablement irrépressible.
Une nuit, en veillant à ne pas attirer l’attention de ses parents qui l’avaient contrainte à dormir dans la même chambre qu’eux, elle sauta par la fenêtre et courut au Bois-Chenu. Le grand hêtre était au plein de sa verdure sous un brouillard d’étoiles. Elle resta agenouillée, en prière, dans l’attente des signes qui lui annonceraient la présence du saint. Ce sont les dames qui lui apparurent, avec plus de netteté que d’ordinaire ; elles se tenaient par la main et paraissaient préoccupées. Par la voix de Catherine, qui lui arrivait feutrée, scandée, lointaine, elle comprit que les saintes lui reprochaient sa longue absence. Elle s’en
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